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CORRESPONDANCE DE WASHINGTON.

objection contre tout ce qu’on vient de lire. Si nous avons dit vrai, d’où vient que le présent ressemble si mal au passé ? Si nous n’avons pas exagéré le bien, pourquoi ce bien n’a-t-il pas duré ? Car enfin, non-seulement voilà quarante ans qu’il ne s’est rien produit entre le Maine et la Louisiane, et du Michigan aux Florides, de comparable à Washington et à ses contemporains ; non-seulement il n’y a plus de Washington aux États-Unis, mais encore, à les considérer dans leur situation actuelle, on se prend à douter que des Washington y puissent renaître. Serait-ce qu’il y a, soit dans les opinions de l’époque, soit dans la constitution des sociétés démocratiques, un vice caché qui s’oppose au développement de ce qui est bon et grand, dès que la jalousie populaire en est offensée ? Tous ces lieux communs de la politique libérale, self-government, gouvernement du pays par le pays, plus grand bonheur du plus grand nombre, souveraineté du peuple, suffrage universel, sont-ils donc de tristes talismans qui frappent d’impuissance et de nullité les esprits supérieurs, les vertus brillantes, les caractères dominateurs ? Enfin, serait-il vrai que les sociétés, enchaînées par les mille formalités, les mille préjugés qui importent à la liberté même, tourmentées par la défiance qui craint l’usurpation, par l’envie qui veille sur l’égalité ; préoccupées uniquement du bien-être des masses, beau nom qui signifie le ménagement collectif des intérêts particuliers ; dévouées par conséquent à la poursuite des améliorations matérielles et à la garde des droits politiques, doivent tomber dans le pire des nivellemens, le nivellement moral ? et, par une cruelle déception de notre philosophie, faut-il croire que la liberté moderne rapetisse l’humanité ?

Et cette question une fois lancée, le scepticisme, on le prévoit bien, ne s’en tient pas à l’Amérique. Il passe l’Océan et s’attaque à la France.

Mes convictions ne sont pas douteuses. Je suis passionnément de mon temps et de mon pays. La liberté et l’égalité, aux États-Unis avec la république, en France avec la monarchie ; la liberté et l’égalité sont, à mes yeux, des biens inappréciables et de saintes vérités. D’autres temps et d’autres idées ont produit, je le sais, des choses éclatantes ; non equidem invideo, miror magis. La France personnifiée sous le dais pompeux du trône de Versailles, ou sous le glorieux pavillon du radeau de Tilsitt, m’inspire peu de regrets, et ne vaut pas, pour moi, la France telle que 1830 l’a faite. Mais je ne ferme pas les yeux sur ce que tant d’autres voient ; nos faiblesses, nos peti-