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Convenons-en, les Amalfitains n’ont aucune pièce aussi concluante à apporter à l’appui de leurs prétentions ; car ces vers du Panormita qu’ils citent à tout propos :

Prima dedit nantis usum magnetis Amalphis
Vexillum Solymis, militiæque typum
 ;

ces vers n’ont été écrits que dans le cours du XVe siècle, près de cent cinquante ans après l’époque fixée comme celle de l’invention par Gioja. Ce n’est donc là qu’une de ces preuves de notoriété poétique dont nous parlions tout à l’heure.

On conçoit facilement qu’on veuille s’attribuer le mérite d’une invention qui a fait découvrir un monde nouveau et une moitié de l’ancien monde. Nous venons de prouver que les Français peuvent, avec quelque fondement, en revendiquer l’honneur. Nous ne chercherons cependant pas à ravir toute gloire aux Amalfitains, et nous conviendrons que, d’après le consentement unanime des peuples européens, ou, pour mieux dire, des historiens et des poètes de ces peuples, s’ils n’inventèrent pas la boussole, du moins ils la perfectionnèrent ; nous ajouterons qu’il est fort probable qu’on doit attribuer ce perfectionnement qui popularisa l’invention en facilitant son application, à un certain Flavio Gioja, dont aujourd’hui rien ne prouve plus l’existence, et auquel les Amalfitains, ne fût-ce que par amour-propre national, auraient bien dû élever un monument.

Les aventuriers réfugiés, vers le VIe siècle, dans les montagnes du voisinage, et qui, plus tard, s’établissant sur la plage, fondèrent Amalfi, se prétendaient issus des Romains ; ils ne crurent pas cependant déroger en s’adonnant au commerce, et ce fut là le principe de la fortune de leur ville. Leurs descendans ont gardé quelque chose de cet esprit industrieux. C’est encore l’une des populations les plus actives du royaume de Naples et celle qui fournit peut être les meilleurs marins, mais aussi elle est affligée plus qu’une autre des deux vices qui dégradent le peuple napolitain : la mendicité et le vol. Mendier et prendre est en quelque sorte un besoin pour un grand quart des habitans de la côte, et ce n’est souvent ni par cupidité ni par nécessité qu’ils mendient ou qu’ils volent, mais tout simplement par instinct ou plutôt par habitude. Cette habitude est si forte chez eux, qu’ils continuent à mendier quand ils sont dans l’aisance, et qu’ils volent des objets qui, pour eux, sont sans valeur et dont jamais ils ne pourront tirer aucun parti. Des femmes du peuple, qui paraissent au-dessus du besoin, vêtues même avec élégance et propreté, nous ont souvent barré le chemin en nous montrant l’enfant qu’elles portaient et en s’écriant d’une voix lamentable : Date qualche cosa a questo poverino ! Dans les montagnes, aux environs de la ville, si nous nous arrêtions pour dessiner, aussitôt des curieux accouraient tendant la main ; si par hasard, absorbés par le travail, nous avions un moment de distraction et cessions d’être sur nos gardes, canifs, crayons, pinceaux disparaissaient comme par enchantement. Un peintre napolitain nous assurait que ces hardis filous avaient été jusqu’à