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naves, il est nécessaire de jeter un coup d’œil en arrière, de rechercher dans le passé les évènemens qui ont préparé la situation actuelle. Nous commencerons par le Danemark.

Il y a deux siècles que la royauté de Danemark était encore élective. Un sénat composé d’une vingtaine de nobles la tenait en tutelle. Le souverain n’avait qu’une autorité très restreinte, souvent contestée et souvent illusoire. Il ne pouvait, sans l’assentiment du sénat, faire aucun traité de paix ou de guerre, ni disposer des revenus de l’état, ni modifier une loi, ni même régir librement sa maison. Le pouvoir de la noblesse devait être contrebalancé par les assemblées de la diète composée des quatre ordres de l’état ; mais peu à peu l’usage de convoquer la diète à certaines époques tomba en désuétude. La bourgeoisie fut maîtrisée comme la royauté, et rien ne semblait devoir ébranler l’impérieuse domination de l’oligarchie, lorsqu’elle devint elle-même victime de son égoïsme et de ses exigences. En 1660, après l’invasion des Suédois, le siége de Copenhague et le traité de paix qui enleva au Danemark ses trois belles provinces situées au delà du Sund, il fallut convoquer la diète pour aviser aux moyens d’adoucir les malheurs de l’état. Le trésor était vide, et le royaume grevé de dettes. Le peuple comprenait lui-même la nécessité de subir un nouvel impôt, mais la noblesse aurait voulu s’en exempter. Les bourgeois, las enfin de toutes ces arrogantes prérogatives, résolurent de les anéantir et de remettre le suprême pouvoir entre les mains du roi. Leur projet, dirigé par deux hommes habiles, soutenu par le roi, et plus fortement encore par la reine, ne fut pas plus tôt connu des nobles, que pour le faire avorter ils résolurent de quitter Copenhague, afin de rompre la diète par leur absence. Mais ils trouvèrent les portes de la ville fermées, et dans leur effroi signèrent le pacte qui leur était proposé. La royauté de Danemark fut déclarée héréditaire, et Frédéric III devint roi absolu.

La noblesse perdit à cette révolution ses nombreux priviléges, son autorité, ses moyens de fortune. Elle fut forcés d’abandonner les terres de la couronne, qui lui étaient affermées pour une très faible redevance, de payer des impôts considérables, et, dans l’espace d’un demi-siècle, ces vieilles familles, jadis si fières et si puissantes, tombèrent, de degré en degré, au niveau de la bourgeoisie. Cependant les taxes auxquelles elles furent assujéties ne rétablirent point l’ordre dans les finances. Les guerres de Chrétien V et de Frédéric IV, les habitudes fastueuses de Chrétien VI, aggravèrent les charges de l’état. À la mort de Frédéric V, la dette du Danemark s’élevait à 25,000,000 de rigsdalers (75,000,000 de fr.), et Chrétien VII, par ses passions ruineuses, par ses voyages extravagans, acheva de mettre le désordre dans un pays qui, pour se relever de son état de malaise, aurait eu besoin de longues années de paix et d’une sage et patiente administration. Les premières années du règne de Frédéric VI, à l’époque où il n’était encore que prince royal et où il gouvernait le Danemark au nom de son père, s’annonçaient sous d’heureux auspices. C’était un homme d’un esprit droit, d’un cœur noble et généreux. Dans un autre temps, il aurait pu relever peu à peu la prospérité de ses états, assurer par de sages institutions