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POÈTES MODERNES DE LA FRANCE.

tisme a aussi un accent bien différent à ces heures ; la couleur en est plus assombrie, l’allure plus menaçante ; il quitte visiblement les plaines de la Gironde pour s’égarer sur les bancs de la Montagne.

Puis encore, et parfois dans le même morceau, à quelques lignes d’intervalle, le vers se radoucit, le sentiment se tempère, l’inspiration entre dans une sphère meilleure. Et vraiment nous aimons mieux ainsi l’auteur de Myosotis, lorsque son iambe tourne à l’élégie, lorsqu’il mouille ses cris de quelques pleurs. Alors il nous rappelle la suave mélancolie et la grace harmonieuse d’André Chénier, dont il a aussi parfois la simplicité savante. La pièce intitulée l’Hiver, après bien des imprécations et même de menaçantes prophéties contre les heureux du monde, nous offre un exemple touchant du retour de l’amertume à la résignation sereine :

Ainsi je m’égarais à des vœux imprudens
Et j’attisais de pleurs mes iambes ardens.
Je haïssais alors, car la souffrance irrite ;
Mais un peu de bonheur m’a converti bien vite ;
Pour que son vers clément pardonne au genre humain,
Que faut-il au poète ? un baiser et du pain.
J’ai ma part de soleil ; mais sans ordre et sans nombre,
Mes frères pèlerins marchent là-bas dans l’ombre :
Dieu ! protége et conduis ce peuple vagabond !
Pour tous comme pour moi, Dieu, révèle-toi bon !
Que ta manne en tombant étouffe le blasphème ;
Empêche de souffrir, puisque tu veux qu’on aime.
Que ton hiver soit doux, et, son règne fini,
Le poète et l’oiseau chanteront : sois béni !

Dans l’Isolement, au milieu de toutes les plaintes et de tous les regrets qui s’exhalent, l’esprit se plaît encore à se reposer sur ces derniers vers où respire un sentiment de gratitude et d’espoir auquel le poète a trop souvent négligé d’obéir. Le passage s’adresse à une dame sa bienfaitrice :

...............
Il ne fallait qu’un mot : ce mot vous l’avez dit.
Et tout à coup voyez comme le charme opère :
Courage, et je suis fort ; espérance, et j’espère
...............
Oh ! patience ! un jour j’acquitterai ma dette ;
J’ignore quel sera mon destin de poète :
Dois-je, tendant ma coupe à l’amour échanson,
De l’écume qui tombe arroser ma chanson ?