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LA RÉPUBLIQUE D’AMALFI.

lombarde sous les murs de la ville qui ferme ses portes et repousse bravement les téméraires. À la longue, la ville finit même par passer pour imprenable, et les poètes du temps mettaient ces descendans des Romains bien au-dessus de leurs ancêtres, qui, eux, se sont laissés surprendre par Brennus et ses Gaulois, lorsqu’un duc de Bénévent, plus habile et plus courageux que les autres, vint les tirer d’une illusion si douce.

Ce duc lombard s’appelait Sicard. C’était, disent les historiens du temps, un homme d’une stature élevée, et dont les forces égalaient celles d’un athlète. Libéral et magnifique, si l’on en croit les Lombards, avide et débauché, si l’on s’en rapporte aux récits des Amalfitains, il était féroce comme un barbare, bigot comme un Grec, et ne reculait devant aucune action, quelque coupable qu’elle fût. Mais aussi plus les crimes qu’il venait de commettre étaient monstrueux, plus son zèle religieux s’exaltait. L’évêque de Bénévent lui refusait-il l’absolution, il volait quelque relique révérée, en faisait présent à son église, et dès-lors se croyait absous.

Cette façon de racheter ses fautes était, du reste, fort à la mode dans ce temps-là. Déjà Sicon, père de Sicard, n’avait pu obtenir la rémission de ses crimes qu’au prix des reliques de saint Janvier, enlevées aux Napolitains, et plus d’une fois Sicard, son digne fils, s’était fait pardonner les siens par quelque donation du même genre. Au mois d’août 838, les Amalfitains lui avaient même prêté leur aide dans une expédition de cette espèce. Il s’agissait d’aller enlever aux habitans des îles de Lipari le corps de l’apôtre saint Barthélemy, en grande vénération dans tout le midi de l’Italie. Les Amalfitains avaient prêté leurs galères au duc lombard, avec lequel ils étaient alors en paix. Sicard s’était donc facilement emparé de la précieuse relique, et l’avait fait transporter à Bénévent. Les Amalfitains, qui déjà trafiquaient de tout, et que Sicard avait généreusement payés, s’étaient fait peu de scrupule de l’aider dans cette expédition ; cependant, lorsqu’ils furent de retour dans leur ville, ils commencèrent à réfléchir sur leur action et sur l’audace du prince qui les avait employés. Eux aussi avaient dans l’une des bourgades dépendantes de la république une relique vénérée, que Sicard pouvait vouloir leur enlever : le corps de la bienheureuse vierge et martyre sainte Trophimène. Sainte Trophimène était d’origine sicilienne ; les habitans de Minori, où cette relique était conservée, racontent encore de nos jours que les environs de leur bourgade ont tant de charme, que le corps de sainte Trophimène décapitée s’y transporta miraculeusement du rivage de la Sicile[1]. Cette relique était conservée dans une petite église à

  1. Sainte Trophimène est encore la patronne de la côte, et l’on voit toujours ses reliques dans l’église de Minori, où elles sont renfermées dans un coffre de marbre. Sainte Trophimène était Sicilienne et de noble origine. Quand elle fut en âge d’être mariée, elle déclara à son père qu’elle avait consacré sa virginité à Jésus-Christ, et refusa tous les partis qui se présentèrent ; son père insistait ; elle s’enfuit sur le continent. Revenue plus tard en Sicile, elle subit le martyre sous Maxime et Dioclétien.