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LA RÉPUBLIQUE D’AMALFI.

tous les ports de la Méditerranée et rapportaient dans leur ville les riches étoffes, les soieries, les épices et les pierres précieuses de l’Orient, qu’ils échangeaient contre les produits bruts de contrées moins fortunées ; leurs relations s’étendaient même jusqu’à Babylone ou Bagdad. Un curieux diplôme conservé dans les archives de la Trinité de la Cava nous apprend qu’ils s’y rendaient en naviguant ; le passage du cap de Bonne-Espérance n’étant point découvert, ce ne pouvait être qu’en traversant l’isthme de Suez, en s’embarquant sur la mer Rouge et en traversant la mer Érythrée et le golfe Persique, c’est-à-dire en contournant toute l’Arabie, qu’ils abordaient à Bagdad. Le marchand dont le diplôme de la Trinité de la Cava nous fait connaître le voyage, s’appelait Léon, fils de Sergius[1].

Du IXe au XIe siècle, les Amalfitains et les Vénitiens dominaient seuls dans toute la Méditerranée et voulaient en exclure tous les autres peuples. Ce ne fut que dans le siècle suivant que les Pisans et les Génois purent lutter contre eux avec avantage. Guillaume de Pouille, le poète et l’historien des Normands de Bénévent, raconte que dans ce temps-là nulle ville au monde n’approchait d’Amalfi pour les richesses et la population ; nuls marins ne pouvaient le disputer à ceux de cette ville pour l’ardeur et l’expérience. « Ce sont eux, dit-il, qui chaque jour rapportent les précieuses marchandises d’Antioche et d’Alexandrie. Cette nation civilisée s’est mêlée à toutes les autres ; elle transporte et expédie tout ce qu’il y a de riche et de précieux au monde[2]. »

Cet éloge était mérité, car, bien différens de son peuple à demi sauvage d’aujourd’hui, les citoyens d’Amalfi s’attiraient alors la bienveillance de toutes les nations avec lesquelles ils trafiquaient, par leur droiture, leur frugalité, leur modestie, leur esprit d’ordre et de justice, et la modération de leurs prétentions. Aussi les rencontrait-on non-seulement à Antioche et dans Alexandrie, mais encore à Caffa, Ptolémaïs, Joppé, Tunis, Tripoli, et même à Bagdad, comme nous venons de le voir.

Hic Arabes, Indi, Siculi noscuntur et Afri[3].

En reconnaissance, des services rendus, et surtout des jouissances qu’ils leur procuraient, les califes d’Égypte leur permettaient de fonder à Jérusalem des hôpitaux religieux qui donnèrent naissance à l’ordre des Hospitaliers de Jérusalem. Plus tard, Bohémond III, prince d’Antioche, leur accordait trois bazars, ou estaconi, dans lesquels ils pouvaient vendre leurs marchandises avec franchise de la moitié des droits[4]. À Constantinople, en Chypre, à Palerme, à Messine, et dans toutes les villes du littoral de l’Italie, ils avaient des établissemens analogues, auxquels ils donnaient souvent leur nom, et qui s’appelaient alors amalfitania.

  1. Archives de la Cava, A, 5, no 42.
  2. Guglielmo Pugliese, Rer. norman.
  3. id., ibid., lib. III.
  4. Diplôme de Bohémond, archives d’Amalfi, no 10.