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REVUE DES DEUX MONDES.

L’obligation où se trouvaient leurs marins et leurs commerçans de décider les nombreux cas de controverse auxquels leurs relations étendues donnaient lieu, les engagèrent à publier un code nautique, qui prit le nom de Tables amalfitaines. La célébrité qu’ils avaient acquise, leur expérience consommée, le crédit qu’ils devaient à leur habileté et aux périls soufferts, donnèrent aussitôt un étonnant empire à ces lois, qui servirent de base au droit des gens et de fondement à la jurisprudence du commerce et de la navigation dans toute l’Europe. Vers le Xe siècle, ces tables d’Amalfi, Tavole amalfitane, avaient remplacé, même à Constantinople et dans l’Archipel, les lois rhodiennes. Les Grecs regardaient ce code comme l’oracle de la jurisprudence, et lorsqu’il s’agissait de décider quelques graves difficultés, ils prenaient toujours pour arbitres les légistes amalfitains. Chose singulière ! il ne reste aujourd’hui de ce code fameux que des lambeaux épars dans les chroniques et dans les archives de Naples. Comment est-il tombé en désuétude ? comment s’est-il perdu ? On l’ignore. La suppression d’un code d’un usage si répandu a paru assez étrange pour que l’on ait été jusqu’à nier qu’il ait jamais existé ; il y a plus : on a traité de fables ce que les chroniqueurs du XIIe siècle rapportent à son sujet. Les recherches critiques de Joseph Amorosi, magistrat napolitain, ont détruit toute espèce de doute, et ont prouvé victorieusement l’existence de ce code maritime et celle d’un code civil également perdu, et qu’on nommait la Coutume d’Amalfi[1]. Les Amalfitains que j’ai consultés au sujet de l’ancienne législation de leur ville, ne doutent pas que d’un jour à l’autre ces codes ne soient découverts dans quelqu’une des poudreuses archives du royaume, et ne soient remis en lumière.

V. — LES NORMANDS DANS LE SUD DE L’ITALIE — AMALFI SOUMISE PAR LE ROI ROGER.

Depuis la division des provinces lombardes en duchés de Salerne et de Bénévent, les forces de la petite république et celles des princes lombards s’étaient équilibrées ; et, comme nous l’avons vu, une longue trêve avait succédé aux éternelles guerres du Xe siècle. Trop heureux les deux états si cet équilibre se fût maintenu et si leur faiblesse réciproque les eût toujours empêchés de se nuire ; mais l’agent qui a toujours décidé des choses humaines, et qui leur manquait à tous deux, la force, allait leur être fatalement donné ; force aveugle comme le glaive, mobile comme la volonté du mercenaire qui vend son bras au plus offrant, et qui, si son intérêt l’y convie, tourne aujourd’hui l’épée contre la poitrine qu’il couvrait hier de son bouclier.

Mansone II, en mourant après trente-six ans de magistrature, avait laissé le pouvoir aux mains de son fils Giovani Petrella (1004). À cette époque, les relations de la république commerçante avec toutes les parties du monde connu

  1. Gius. Amorosi, Sulle tavole amalfitane, Nap. 1829.