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au lieu de se tenir en garde contre un voisin ambitieux, ils ne songeaient qu’à se nuire. Ce voisin, c’était Guaimard IV, prince de Salerne ; quand il se fut assuré de l’appui des Normands, il vint mettre le siége devant Amalfi (1039). Sur le point de succomber comme les habitans de Sorrente, les Amalfitains eurent recours à la politique qui, jusqu’alors, leur avait réussi ; ils cédèrent en faisant leurs conditions, ils déclarèrent Guaimard duc d’Amalfi, mais sous condition que leurs priviléges seraient respectés, que la république garderait sa nationalité et ne serait pas annexée à la principauté de Salerne. Amalfi mettait dès-lors en pratique cette science des transactions qui fut toute la politique des Italiens et qui fit la grandeur de Venise et de Florence. Les Romains avaient pour maxime de ne jamais traiter tant que l’ennemi en armes occupait une partie du territoire de la république. Les Amalfitains, qui se disaient issus des Romains, ne montrèrent jamais cette inflexibilité de caractère ; ils s’étudiaient plutôt à céder à propos et ne craignirent pas, quand la crise l’exigeait, d’adopter le patronage d’un voisin puissant et de le mettre même à la tête de la république, de sorte que l’on eût pu dire de ce petit état, comme de Rome républicaine, qu’il n’y avait pas de prospérité dont il n’eût profité et de malheurs dont il ne se fût servi.

Du jour de l’élection de Guaimard, toutes relations cessèrent entre Amalfi et l’empire grec, qui perdit l’ombre d’autorité qu’il avait conservée sur cette ville. Le prince de Salerne en hérita.

Ces concessions de la part d’un état républicain étaient grandes, et cependant toute étincelle de liberté n’était pas éteinte au cœur de ses citoyens. Guaimard, à peine installé au pouvoir, manqua aux engagemens qu’il avait pris : sous prétexte qu’il ne pouvait s’occuper efficacement des affaires de la cité, il nomma doge en sa place Mansone III, précédemment déposé et confiné dans les îles des Syrènes, en le déclarant son feudataire et en se réservant le titre de duc d’Amalfi ; mais les Amalfitains refusèrent de se soumettre à ces humiliantes mesures. Quelques-uns même, ayant voulu recourir aux armes, Guaimard les déclara rebelles et les traita avec la dernière rigueur. Dès-lors, une conjuration se forma parmi les citoyens d’Amalfi ; des conciliabules se tenaient au milieu des rochers, dans les endroits les plus solitaires des montagnes ; les Salernitains, que Guaimard n’opprimait pas moins, se joignirent à eux, et tous, d’un commun accord, firent serment de se délivrer du tyran.

Le chemin qui conduit de Salerne à Amalfi traverse l’une des contrées les plus sauvages de l’Italie ; tracé sur l’escarpement de montagnes dont la base plonge dans la mer, tantôt il s’élève au sommet de rocs décharnés, tantôt il descend le long d’étroites et périlleuses corniches au fond d’obscures vallées. Ce fut dans l’un de ces ravins, non loin de Vietri, que les conjurés attendirent le duc Guaimard un jour qu’il se rendait d’Amalfi à Salerne. Les conjurés s’étaient cachés au fond de l’une des nombreuses grottes que longe le chemin ; aussitôt qu’ils virent Guaimard à leur portée, ils sortirent tous ensemble, l’épée, la hache et le poignard à la main. Guaimard, abandonné de ses gardes, essaya