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LA RÉPUBLIQUE D’AMALFI.

vainement de se défendre ; il tomba frappé de trente coups de poignard ; puis, les conjurés s’attelèrent à son cadavre, et le traînèrent le long des rochers jusque dans les murs de Salerne, dont le peuple se souleva au cri de liberté. Pendant ce temps, les Amalfitains qui étaient du complot rentraient dans leur ville, où leurs complices les attendaient. Le doge aveugle, Mansone, n’essaya pas de leur résister ; il prit la fuite, laissant la place à son frère Jean III, qui fut réintégré pour la troisième fois.

Les Sorrentins furent moins heureux que leurs voisins d’Amalfi. Guidone, frère de Guaimard et son lieutenant à Sorrente, ayant appelé les Normands à son aide, maintint son autorité dans cette ville, et marchant aussitôt sur Salerne, y entra de vive force cinq jours après la mort de Guaimard. Il fit sur-le-champ trancher la tête à quatre seigneurs de sa famille impliqués dans la conjuration, et à trente-six des habitans de la ville les plus compromis. Il installa ensuite Gisulfe, fils de Guaimard, comme chef de la principauté, et retourna à Sorrente sans avoir osé attaquer Amalfi. Cette petite république fut donc le seul des trois états qui profita de cette révolution ; elle était libre, mais Gisulfe lui fit payer chèrement cette liberté. Gisulfe, dont les états entouraient le territoire d’Amalfi, et qui était maître des ports voisins, se saisissait de tous les navires de la république que les hasards de la mer obligeaient à relâcher dans ces ports, emprisonnant leurs équipages, et quelquefois mettant à mort leurs commandans. Jean III, le vieux doge rétabli, manquait de l’énergie nécessaire pour tirer vengeance de ces insultes. Ce fut alors que les Amalfitains, poussés à bout, eurent recours à une puissante, mais fatale protection.

Entre tous ces pèlerins armés qui avaient envahi l’Italie, on distinguait les fils d’un gentilhomme normand qui descendait du fameux Rollon. Tancrède de Hauteville était le nom de ce gentilhomme ; il avait eu douze fils, et dix d’entre eux étaient successivement passés en Italie, Guillaume Bras-de-Fer, Drogon et Humfroi les premiers, puis Robert Guiscard, Humbert et Mauger, et, enfin, Bohémond, Roger et leurs autres frères. Par une faculté assez rare, mais qui tenait, sans doute, au génie naturel de leur nation, ces Normands étaient à la fois guerriers courageux et politiques consommés, des lions dans le combat, des anges dans le conseil, a dit Guillaume de Pouille leur historien ; s’ils savaient vaincre, ils savaient surtout profiter de la victoire, et fonder en même temps que conquérir. Robert Guiscard fut le plus habile de ces princes. Maître du midi de l’Italie, il avait le premier établi dans ces provinces un pouvoir régulier en se faisant nommer duc de la Pouille et des Calabres. Allié douteux de Gisulfe, dont il avait épousé la sœur, il convoitait ses états et n’attendait qu’une occasion favorable pour s’en emparer. Ce fut à lui que les Amalfitains s’adressèrent, réclamant son appui contre le tyran de Salerne[1].

Cette démarche des Amalfitains fut une immense faute. Robert Guiscard, dont ils invoquèrent le secours, était trop puissant et trop en veine de conquêtes

  1. Gugl. Pugliese, lib. III de Rer. norman.