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LA RÉPUBLIQUE D’AMALFI.

Mais c’était moins d’Amalfi que de Ravello et de la Scala que les Pisans avaient à cœur de se venger, la résistance de ces deux villes ayant été la première cause de leurs désastres. Ils sommèrent donc leurs habitans de payer également une rançon exorbitante, et sur leur refus ils les assiégèrent avec toutes leurs forces. Cette fois il n’y avait plus de secours à espérer du dehors, et néanmoins, grace à la force de leur situation et à l’appui qu’elles pouvaient mutuellement se prêter, ces villes eussent sans doute repoussé l’attaque des Pisans, si un incident singulier, en livrant l’une d’elles à l’ennemi, n’eût entraîné la perte de l’autre.

Il y avait au centre de la ville de la Scala une espèce de gouffre profond qui servait d’égout, et dans lequel les habitans jetaient leurs immondices, que les eaux pluviales entraînaient dans le torrent voisin, à travers le massif de la montagne. Un des capitaines pisans, ayant trouvé un jour, à la sortie de cet égout, le corps d’un dogue monstrueux, fit remarquer à ses compagnons que, puisque un animal d’une si grande taille avait pu passer sans difficulté par ces couloirs souterrains qui aboutissaient à la ville, un homme pourrait s’y glisser ; « et où un homme peut passer, une armée passe, » ajouta-t-il en songeant à profiter de sa découverte. Il en fit part en effet aux autres généraux, qui, le jour même, firent sonder les entrailles de la montagne par de hardis aventuriers ; ceux-ci rapportèrent que, tantôt rampant, tantôt marchant, tantôt se hissant le long de ces souterrains, ils étaient arrivés à un endroit où le gouffre s’élargissait. Cet endroit était voisin de son issue dans la ville, et présentait de tous côtés des parois perpendiculaires, dont la hauteur ne pouvait être bien grande, puisque, du fond de cette espèce de puits, ils avaient entendu les conversations des femmes de la ville et vu les toits de ses maisons. « Mais néanmoins, ajoutaient-ils, on ne pourrait escalader ces parois sans échelles ; et comment traîner des échelles assez longues dans ces tortueux labyrinthes ? » Les généraux pisans tinrent conseil, et décidèrent que, tandis qu’on attaquerait ouvertement la ville, une troupe de soldats déterminés y pénétrerait par surprise en se glissant dans le souterrain. Mais que faire pour escalader les parois du gouffre ? « Que cela ne vous cause aucun souci, dit tranquillement l’officier qui avait découvert le passage ; donnez-moi le commandement de ces braves gens, je me charge de leur procurer des échelles, et je prends saint Reynier à témoin que, fussent-ils deux mille, je les conduirai tous, jusqu’au dernier, au cœur de la ville. » Le conseil choisit sur-le-champ un homme si brave et qui paraissait tellement sûr de son fait. Le lendemain, au moment où le soleil se couchait, l’armée pisane s’ébranla et donna à la ville un terrible assaut ; tandis que tous ses habitans en état de combattre, montés sur le rempart, tenaient bravement tête aux assaillans, tout à coup des cris aigus retentirent au fond de l’égout, placé, comme nous l’avons dit, au centre de la ville : c’étaient les cris d’un jeune campagnard que le chef de la troupe qui s’était glissé sous la montagne avait amené avec lui et faisait battre de verges. « Un de nos enfans se sera laissé choir au fond du puits et se sera grièvement