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blessé, » s’écrient les habitans des maisons voisines ; et aussitôt vingt échelles sont établies le long des parois du gouffre, et autant d’habitans s’apprêtent à y descendre. Mais quel est leur étonnement et leur effroi, quand tout à coup, au sommet de chacune de ces échelles, apparaît un soldat couvert de fange et la hache à la main ! Avant que ces bonnes gens aient eu le temps de se reconnaître et d’appeler du secours, toute cette troupe décidée s’est précipitée hors de l’égout, et, sans s’amuser à les poursuivre, résistant même à la tentation de piller les riches palais voisins, elle court vers l’une des portes, dont elle égorge les défenseurs pris à revers. Une fois maîtres de la porte, les Pisans étaient trop nombreux pour que la Scala pût leur résister. Ses habitans furent tous ou tués ou faits esclaves ; la ville fut saccagée d’une manière horrible, puis rasée. Jamais elle ne se releva de ses ruines.

Ravello, la voisine de la Scala, essaya bien encore de résister aux Pisans victorieux ; mais elle ne tarda pas à succomber, et fut également dévastée. La perte de ces deux cités auxiliaires acheva la ruine d’Amalfi. La jalousie des Pisans fut satisfaite ; ils n’eurent plus à redouter la rivalité d’une ville qui déclina rapidement. Ses comptoirs furent successivement abandonnés, son crédit anéanti, et lorsque, en 1350, les rois de Naples lui enlevèrent ses institutions municipales, seuls restes de son ancienne constitution républicaine, qu’avait maintenues le roi Roger, ils ne frappèrent plus qu’un cadavre, car cette ville, qui en 1137, au commencement de sa décadence, comptait environ cinquante mille habitans, ne renfermait plus alors qu’une insignifiante population.

L’homme avait commencé la ruine d’Amalfi, la nature l’acheva. Déjà en 1013, une violente tempête avait, comme nous l’avons dit, détruit en partie la ville basse et changé complètement l’aspect de la cité. La chronique de Minori triomphante nous apprend qu’avant cette tempête le port occupait tout l’espace qui s’étend d’Amalfi à Majori, c’est-à-dire une étendue de près de trois milles. Chacun des petits ports d’Atrani, de Marmorata et de Minori formaient sans doute alors autant de bassins, rattachés l’un à l’autre par des ouvrages dont aujourd’hui il ne reste pas même de traces. Derrière le port s’étendaient les arsenaux, les chantiers, les marchés, un théâtre, des thermes, l’hôpital et la monnaie. La mer gagne sur ces rivages comme sur ceux des golfes de Naples et de Baïa. Lorsque le vent de sirocco souffle avec violence, les vagues, ne rencontrant aucun obstacle, acquièrent une irrésistible puissance et déferlent avec fureur sur les rochers de la côte, dont elles détachent chaque jour des fragmens considérables. Ce n’était donc qu’à force de persévérance et au prix de travaux dispendieux que les Amalfitains étaient parvenus à créer un port. Lors de la décadence de leur ville, les citoyens d’Amalfi, ayant perdu leurs richesses, que le commerce n’alimentait plus, ne purent entretenir ces travaux élevés à grands frais. Les digues furent rompues, les murs s’écroulèrent, et le 24 novembre 1343, la veille de la Sainte-Catherine, une tempête s’étant élevée, la plus terrible de toutes celles dont les annales du royaume aient conservé le souvenir, la mer, renversant ces faibles obstacles,