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révolution et de l’assemblée constituante, n’a pas dépassé dans le dixième la chute du directoire, le coup d’état de brumaire. Les deux écrivains ont obéi chacun aux lois de leur nature. M. Mignet ne pouvait pas ne pas publier un tout complet, uniforme, harmonique ; à cette condition seulement son esprit pouvait être satisfait ; tout annonçait en lui une vie de méditation et de travail, un homme de cabinet, un écrivain. Dans M. Thiers, on pouvait pressentir l’homme d’action et de tribune, mêlé aux affaires de la vie, maniant les hommes, faisant un livre pour faire quelque chose, et le faisant bien parce qu’il est des talens qui peuvent tout faire. Jamais deux amis intimes, travaillant au même sujet, en même temps, dans la même ville, n’ont donné le jour à deux ouvrages plus individuels, plus indépendans, plus divers.

M. Mignet, dans son amour de la symétrie et de la synthèse, laisse peu aux variétés et aux écarts de la liberté humaine ; pour lui, les diverses phases de la révolution ont été presque obligées ; avec les causes qui l’ont amenée, et les passions qu’elle a employées ou soulevées, la révolution ne pouvait avoir une autre marche ni une autre issue. En retraçant les préliminaires de la révolution, M. Mignet a voulu montrer qu’il n’a pas été plus possible de l’éviter que de la conduire.

M. Thiers, esprit moins théorique et nullement systématique, cherche moins à savoir si les évènemens étaient fatalement nécessaires, qu’à les bien comprendre, et à en bien démêler les causes et les nuances. L’un est plus l’historien des choses, de leur enchaînement, de leurs résultats ; l’autre des hommes, de leurs passions, de leur influence.

Mais ils écrivaient l’un et l’autre sous l’empire des mêmes principes, des mêmes opinions, des mêmes passions politiques. L’un et l’autre regardaient la révolution comme une nécessité dans son principe, comme un immense progrès par ses résultats. Et tout en regrettant les résistances qu’elle eut à vaincre, et la lutte sanglante qui s’ensuivit, l’un et l’autre n’auraient voulu, à aucun prix, que la révolution n’eût pas eu lieu, convaincus que ses excès passagers étaient largement rachetés par ses bienfaits durables.

Enfin, ils écrivaient l’un et l’autre comme des hommes sur un champ de bataille, persuadés qu’il y avait de nouveaux combats à soutenir, d’autres victoires à remporter. La liberté, disait M. Thiers, en terminant son travail, n’est pas venue, elle viendra ; ce qui explique ces paroles de son début : J’ai tâché d’apaiser en moi tout sen-