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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 21.djvu/390

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encore, il est vrai, mais pleine de force ; la liberté germanique, appuyée sur une unité religieuse qui trouvait dans tous les cœurs et dans tous les esprits une croyance absolue, fait alors de l’Allemagne une nation vraiment grande, respectée et redoutée de l’Europe entière.

La poésie de ces temps se trouve dans les chants des minnesangers et dans ceux des meistersangers, qui ont beaucoup de ressemblance avec nos troubadours de Provence, et qui peut-être en tirent leur origine. Déjà le nom de meister indique qu’ils formaient école ; cette poésie paraît d’abord, par cela même, moins originale et moins populaire que celle de la première époque. Toutefois, elle est populaire encore en ce sens qu’elle est en harmonie avec l’esprit général du temps ; en effet, elle est accueillie et fêtée, surtout, il est vrai, dans les châteaux. Eh bien ! même dans cette poésie plus artificielle se retrouve ce charme de rêveries mélancoliques inconnu à l’Espagne et à l’Italie, et ce parfum de mysticité dans la religion et dans l’amour qui rappelle l’ancienne Allemagne.

La philosophie de cette époque est la scholastique, qui méritait alors autant de respect qu’elle s’est attiré plus tard de mépris, lorsque, voulant garder un empire que les siècles lui avaient ôté, de souveraine légitime qu’elle était, elle se fit tyrannique et persécutrice. La scholastique n’était autre chose que l’ensemble des formules plus ou moins scientifiques dans lesquelles la réflexion naissante, appuyée sur l’Organum d’Aristote, avait arrangé les doctrines chrétiennes à l’usage de l’enseignement. Les théologiens sont les philosophes d’alors, et ils se recommandent par un caractère de naïveté et de gravité, par une profondeur de sentimens et une hauteur d’idées qui leur assigne un rang très élevé dans l’histoire de la philosophie. Antérieurement aux universités, de grandes écoles florissaient de toutes parts en Allemagne, à Fulde, à Mayence, à Ratisbonne, et surtout à Cologne. La scholastique d’Allemagne est sans doute moins originale et moins féconde que celle de France, qui n’a ni égale ni rivale ; toutefois elle présente de grands noms, dont le plus grand est celui d’Albert. Ne dédaignez pas cette philosophie, malgré sa forme quelque peu barbare ; car la foi des docteurs et celle des disciples la vivifiait. Ainsi, d’un côté foi vraie dans le peuple, et liberté par conséquent, puisque le peuple croyait d’une croyance aussi libre que l’amour qui en était le principe ; d’autre part, ferme autorité dans le gouvernement, parce que cette autorité se fondait sur le libre assentiment des peuples et sur de nobles croyances. Tel fut l’état philoso-