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sa petite robe noire, à sa petite collerette blanche, à ses cheveux sans rubans et sans joyaux. Elle s’immisça volontairement dans le gouvernement de la maison, dont Laurence n’entendait, comme elle disait, que la synthèse, et dont le détail devenait un peu lourd pour la bonne Mme S… Elle y apporta des réformes d’économie, sans en diminuer l’élégance et le comfortable. Puis, reprenant à de certaines heures ses travaux d’aiguille, elle consacra toutes ses jolies broderies à la toilette des deux petites filles. Elle se fit encore leur sous-maîtresse et leur répétiteur dans l’intervalle des leçons de Laurence. Elle aida celle-ci à apprendre ses rôles en les lui faisant réciter ; enfin, elle sut se faire une place à la fois humble et grande au sein de cette famille, et son juste orgueil fut satisfait de la déférence et de la tendresse qu’elle reçut en échange.

Cette vie fut sans nuages jusqu’à l’entrée de l’hiver. Tous les jours Laurence avait à dîner deux ou trois vieux amis ; tous les soirs, six à huit personnes intimes venaient prendre le thé dans son petit salon et causer agréablement sur les arts, sur la littérature, voire un peu sur la politique et la philosophie sociale. Ces causeries, pleines de charme et d’intérêt entre des personnes distinguées, pouvaient rappeler, pour le bon goût, l’esprit et la politesse, celles qu’on avait, au siècle dernier, chez Mlle Verrière, dans le pavillon qui fait le coin de la rue Caumartin et du boulevart. Mais elles avaient plus d’animation véritable, car l’esprit de notre époque est plus profond, et d’assez graves questions peuvent être agitées, même entre les deux sexes, sans ridicule et sans pédantisme. Le véritable esprit des femmes pourra encore consister pendant long-temps à savoir interroger et écouter, mais il leur est déjà permis de comprendre ce qu’elles écoutent et de vouloir une réponse sérieuse à ce qu’elles demandent.

Le hasard fit que durant toute cette fin d’automne la société intime de Laurence ne se composa que de femmes ou d’hommes d’un certain âge, étrangers à toute prétention. Disons, en passant, que ce ne fut pas seulement le hasard qui fit ce choix, mais le goût que Laurence éprouvait et manifestait de plus en plus pour les choses et partant pour les personnes sérieuses. Autour d’une femme remarquable, tout tend à s’harmoniser et à prendre la teinte de ses pensées et de ses sentimens. Pauline n’eut donc pas l’occasion de voir une seule personne qui pût déranger le calme de son esprit, et ce qui fut étrange, même à ses propres yeux, c’est qu’elle commençait déjà à trouver cette vie un peu monotone, cette société un peu pâle, et à se demander si le rêve qu’elle avait fait du tourbillon de Laurence