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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 21.djvu/425

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LETTRES POLITIQUES.

L’immoralité même de cette alliance nous donnerait en Europe une force considérable ; elle nous doterait de celle qui appartient toujours au droit, et nous serions à la fois puissance révolutionnaire par le souvenir ineffaçable de notre origine, et puissance modératrice par la position même qui nous serait faite. Nous pourrions utiliser au dehors toute l’énergie du principe qui est en nous, sans inquiéter l’opinion européenne en nous montrant ambitieux, et nous serions agressifs par la contagion de nos idées tout en conservant une position défensive et en protégeant l’indépendance des peuples. Que de perspectives nouvelles une telle politique ouvrirait devant nous, que de sympathies à exploiter, quelles terribles facilités pour se faire craindre des gouvernemens sans se faire redouter des peuples ! Mettre en œuvre cette double puissance de la révolution et du bon droit, remuer jusqu’au fond de l’Asie les haines accumulées par l’oppression séculaire de deux peuples dominateurs, se préparer en Amérique des alliances maritimes, reprocher aux puissances allemandes le rôle honteux qu’elles subissent, et les menacer, si elles n’en changent, de ce drapeau qui représenterait moins désormais la conquête territoriale que celle de la liberté constitutionnelle : c’est là un rôle assez grand pour être accepté avec une pleine confiance. Le cas échéant, le cabinet de M. le maréchal Soult jugera si ce programme est à sa taille !

Peut-être, monsieur, la tribune et la presse vont-elles se trouver dans le cas de débattre bientôt ces hautes et brûlantes questions, entre lesquelles un changement de ministère serait assurément la moindre de toutes ; peut-être aussi l’alarme est-elle prématurée, et la session reprendra-t-elle son cours naturel. Dans ce cas, on doit s’attendre à voir se prolonger une situation qu’aucune des grandes fractions de la chambre n’a un intérêt très prononcé à changer. On voudra peut-être maintenir une transaction qui ne compromet pas l’avenir et contribue indirectement à le préparer.

Mais la victoire obtenue sur le terrain politique sera chaque jour compromise dans les questions de détail que doit soulever une session laborieuse, car le ministère sait sans doute mieux que personne que, s’il a à peu près conquis l’adhésion silencieuse de la majorité, il n’a pas acquis pour cela la sympathie individuelle de tous ses membres ; il n’est point assez fort dans la chambre pour arrêter l’essor des rancunes privées ou des pensées excentriques qui viendront sans nul scrupule à l’encontre de ses combinaisons administratives et financières. Or, il n’a jamais été débattu, depuis l’origine du gouvernement représentatif en France, de questions administratives et économiques