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tion, mais que relève la peinture nette et vraie de tant et de si divers personnages. Dans ce tableau piquant de la conspiration qui mit sur le trône le duc de Bragance, M. Lemercier a traité les grands comme Plaute avait traité les dieux dans son Amphitryon.

Cette peinture comique d’une usurpation ne devait guère agréer à Bonaparte : aussi y eut-il combat à la première soirée ; Pinto finit cependant par l’emporter sur l’obstination de quelques siffleurs obstinés. Le premier consul fit à dessein multiplier les congés des acteurs, et la pièce n’eut qu’une vingtaine de représentations. Le contraste de l’indécision du duc de Bragance, couronné malgré lui, avec le vainqueur de l’Italie qui allait se couronner lui-même, prêtait à des allusions malignes que l’on jugea prudent d’étouffer.

La critique, un peu surprise d’une œuvre aussi inaccoutumée que Pinto, prononça des arrêts fort divers, et les plus indulgens la trouvaient au moins singulière, comme fit plus tard J. Chénier. Rœderer, dévoué exclusivement au succès, mais à qui cette comédie plaisait beaucoup au fond, la justifia timidement dans le Journal de Paris ; toutefois, par le vague de ses insinuations, il éludait le danger d’un jugement franc et décidé. Les Débats continrent, le lendemain de la représentation, une note fort hostile, qui présentait la pièce comme ridicule et complètement tombée. Le succès ayant démenti cette malveillante annonce, une lettre signée Lapérouse (pseudonyme qui déguisait sans doute Geoffroy) vint quelques jours après ; elle parlait d’un drame burlesque, détestable, informe, écrit dans le style de Tabarin. L’un des personnages, l’archevêque de Bragues, était traité de carmagnole de 93. Nous n’en sommes pas encore, on le voit trop, à la critique fine, polie, délicate, de Mme Guizot, que bientôt nous serons heureux de rencontrer.

On reprocha à M. Lemercier d’avoir imité le Mariage de Figaro ; mais l’auteur de Figaro n’avait pas été de l’avis des critiques, et Pinto lui plut singulièrement quand il en lut les scènes inédites. En ses derniers jours, ce maître bruyant de la comédie révolutionnaire se consolait même souvent, dans l’intimité du jeune poète, des obsessions de toute sorte que tant de précédens excès et de ruineuses prodigalités suscitaient à sa vieillesse. L’auteur d’Agamemnon dînait chez lui deux jours avant cette fin subite et singulière qu’expliquerait trop bien peut-être une de ces conversations qui lui étaient si familières alors sur les moyens chimiques de mourir sans douleur.

Le succès de Pinto avait sa séduction ; M. Lemercier essaya de poursuivre cette veine heureuse par trois actes en prose sur Alci-