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POÉTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

d’invention des poètes antiques, et se faire l’Hésiode du monde newtonien. On n’en est plus dans l’Atlantiade aux mignardes galanteries des Mondes de Fontenelle. Le ciel, l’univers, voilà le théâtre de l’épopée, et les principes moteurs, les forces virtuelles, en sont les dieux animés, et forment une série d’allégories bizarres, de personnifications étranges. Empédocle dans son temps n’a rien fait auprès de cela. On se trouve tout d’abord dans cette île de l’Atlantide dont les anciens ont raconté l’imaginaire submersion. Les pôles se battent comme deux jumeaux à côté desquels Éthéocle et Polynice ne sont que des enfans en colère ; puis viennent les passions amoureuses et rivales des marées, qui ravissaient Bernardin de Saint-Pierre. La lumière et le calorique, la gravitation, l’acoustique, les végétaux, les volcans sont les fantastiques acteurs de ce drame sans nom ; et, au milieu de cet entassement confus et gigantesque, des jets étincelans, de magnifiques images surgissent çà et là : la poésie déborde à flots, mais pour s’abîmer dans ce chaos extraordinaire, qui a quelquefois sa grandeur. Par malheur nous ne sommes plus au temps d’Orphée, et Orphée ne vint pas. Je ne saurais m’étonner qu’une pareille œuvre ait charmé Laplace ; elle doit être assez du goût de M. Thénard qui y a coopéré par ses conseils, mais il faudrait trop souvent que les traités du savant chimiste servissent de commentaires au poème. Ce défaut capital n’échappait pas à M. Dupuytren qui devait naturellement être le critique littéraire de l’Atlantiade. Il en rendit compte, en effet, dans le Moniteur[1] : « M. Lemercier doit tout créer, disait-il au milieu de beaucoup d’éloges, et il n’a pour soutenir sa création que l’intérêt qu’elle inspire par elle-même. » Hélas ! la conclusion est facile à tirer. Mais à quoi bon se montrer sévère ? Après tout, ce n’est là qu’un roman de physique où s’est perdu beaucoup de talent. Pourquoi seulement, objectait-on dès-lors, s’être moqué du dieu d’Eudore et de Cymodocée afin de céder l’empire du monde à l’oxigène et au phosphore ?

Ce n’était là que le prélude d’une œuvre plus puissante et plus étrange. La Panhypocrisiade est une immense comédie diabolique qui se joue aux enfers : c’est un tableau heurté de toutes les splendeurs, de tous les crimes, de tout le mouvement désordonné du XVIe siècle. Des personnifications multipliées jusqu’à l’ennui, des vers médiocres, des pages communes, s’y mêlent souvent à ce que la poésie fantastique a de plus éclatantes merveilles, à ce que l’inspi-

  1. 15 et 19 avril 1808.