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POÉTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

« Il y a dans cette œuvre, disait-il, tout ce qu’il fallait de ridicule pour gâter toutes les épopées de tous les siècles, et, à côté de cela, tout ce qu’il fallait d’inspiration pour fonder une grande réputation littéraire. Ce chaos monstrueux de vers étonnés de se rencontrer ensemble rappelle, de temps en temps ce que le goût a de plus pur, ce que la verve a de plus vigoureux. Tel hémistiche, tel vers, telle période, ne seraient pas désavoués par les grands maîtres ; c’est quelquefois Rabelais, Aristophane, Lucien, Milton, disjecti membra poetœ, à travers le fatras d’un parodiste de Chapelain… Ouvrez le livre, vous avez retrouvé l’auteur d’Agamemnon, et l’on peut se contenter à moins ; une page de plus, et vous aurez beau le chercher, vous serez réduit à dire comme le bon abbé de Chaulieu :

C’est quelqu’un de l’Académie. »

Peut-être toute cette verve caustique de jeunesse s’est-elle changée chez M. Nodier en indulgente admiration ; il est aussi de l’Académie. M. Lemercier n’en eût jamais été sans doute, malgré le dire du mordant critique, si la Panhypocrisiade avait été publiée sous l’empire. Mais, écrite sous le consulat, elle ne parut qu’en 1819 ; dans l’intervalle, le poète eut le temps de se créer des titres moins hasardeux. Tant de drames, de comédies, de rêves épiques ou didactiques n’avaient pu suffire à cette imagination inquiète, qui voulait s’essayer à tout. La théorie de l’art le tentait, et, ne sachant plus à quoi se prendre, il rêva la gloire de Longin ; de là, un cours professé à l’Athénée avec un succès qui rappelait celui de Laharpe. Ces leçons ont été imprimées en grande partie, et, sous une forme souvent inculte, elles renferment beaucoup d’idées, beaucoup de rapprochemens judicieux et de réelle érudition. Il serait très facile de rire des vingt-quatre conditions épiques et des vingt-trois qualités comiques dont parle sérieusement M. Lemercier ; mais, si ses classifications sont puériles, si quelques-unes des limites qu’il pose sont étroites, le livre se sauve par des parties excellentes, par une admiration très sentie des grandes beautés littéraires. Cet ouvrage demeurera comme un intermédiaire intelligent entre le terre-à-terre de Le Batteux et la transcendante esthétique de Schlegel, dont il amende les exagérations, et qui peut servir elle-même à en corriger les restrictions exclusives.

M. Lemercier avait une réputation bien établie de novateur téméraire ; son Cours de littérature vint le réhabiliter à propos. Hoffman l’applaudit de sortir enfin des mélodrames, et le désigna ainsi au