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REVUE LITTÉRAIRE DE LA GRANDE-BRETAGNE.

à se faire jour. Le mode de l’intelligence anglaise a cet avantage sérieux sur le nôtre, de juger et de classer un homme d’après la valeur, non la quantité de l’œuvre. Coleridge et Lamb sont pour elle de grands penseurs, honorés et chéris, quoiqu’ils n’aient pas versé des torrens d’encre dans des compartimens réguliers.

Les mélanges de Southey, publiés sous ce titre : The Doctor, ressemblent un peu aux Petits Mélanges tirés d’une grande bibliothèque, par Charles Nodier. Il y a cependant chez l’écrivain anglais moins d’ordre, plus de bizarrerie, des coudées plus franches, un ton plus étrange, une indépendance plus réelle. Malgré nos airs de liberté et de caprice, nous sommes toujours parfaitement soumis aux lisières monarchiques ; la convenance nous reste, faute de vertu ; une béquille, faute de force. Pour le savoir et l’esprit fin, brillant, la malice secrète, les jouissances d’érudit, le carnaval des vieux livres, la joie causée par une citation inattendue, le bon style, la bonne grace, le bon sens satirique et doux, les deux écrivains se valent. Southey a osé, dans son livre de mélanges, tout ce que Charles Nodier avait tenté dans le Roi de Bohème, roman qui a passé pour fou et qui ne l’est pas. On trouve dans le Docteur toutes sortes de choses : la friperie des citations, la biographie, le conte pour rire, l’anecdote, la dissertation, le portrait, la poésie, la nouvelle, le sermon, s’y coudoient. Quelques chapitres ont deux lignes ; d’autres ont cent pages. Le vieillard, qui s’amusait, n’a oublié ni la postface qui est à la tête, ni la préface qui est à la queue, ni l’interface qui occupe le centre. Vous rencontrez aussi des préludes, des interludes, sous-chapitres, intercalations, et autres folies que je ne vous donne point pour des modèles, mais qui ont peu d’importance et qui ne sont après tout que l’enveloppe de l’ouvrage. Soulevez cette enveloppe, vous trouverez un trésor de citations ravissantes, extraites de poètes oubliés, de prosateurs inconnus, d’écrivains fantastiques, une guirlande de ces fleurs que le temps ne fane pas, la quintessence de trente mille volumes, tout le portefeuille du vieux savant, et d’un savant à l’ame poétique, vidé pour vos menus-plaisirs. Quel écrivain si misérable et si chétif n’a pas produit un jour quelques lignes heureuses ou brillantes ? L’océan de l’oubli les recouvre ; les flots des âges passent sur ces perles ensevelies ; le patient et juste Southey a plongé dans les profondeurs pour les en tirer. Il a joint à ces débris des souvenirs personnels, des fantaisies baroques, une certaine dose de jeux de mots, une espèce d’histoire qui ne commence pas et ne finit jamais, trois ou quatre personnages qui tombent des nues ; et