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Les jeunes filles de Naples sont le sujet d’un autre poème de Cortese. Les mœurs de la mansarde, les fêtes du peuple, ses amours et ses jalousies comiques, les fiançailles, les mariages, voilà les tableaux que nous offre ce poème. On y peut étudier la superstition nationale dans toute sa bizarrerie ; on dirait une sorte de religion fantastique ; le plus mince détail de ménage est interprété comme un augure ; malheur à la femme qui fait son lit avant que le mari soit sorti ! Quelques usages semblent remonter à la plus haute antiquité : dans un accouchement, la sage-femme martyrise le nouveau-né en pratiquant une foule de cérémonies ; puis elle le dépose par terre, et il n’est reconnu que lorsque le père le relève en le prenant entre ses bras. Cortese est comique sans songer à faire de la satire ; il retrace de magnifiques tableaux de mœurs sans penser à faire de la description ; tous les détails ont une physionomie napolitaine pleine de charme.

La magie joue le principal rôle dans un autre poème de Cortese, la Conquête du Cerriglio. Le roi du Cerriglio a recours à des sortiléges pour défendre son château, contre lequel Sacripant a dirigé une expédition. Il transforme en bêtes quelques soldats ennemis. Un soldat qu’il a fait prisonnier lui enlève sa fille ; les deux amans fuient et, après quelques aventures, sont métamorphosés en statues. Quatre vieillards qui avaient tenté de séduire la princesse subissent le même sort, et ces statues, dit Cortese, ornent encore une fontaine publique. La valeur de Sacripant, qui commande l’armée ennemie, triomphe de toutes les ruses des assiégés. Dans un combat acharné, Sacripant immole les plus vaillans de ses ennemis et entre victorieux dans l’enceinte du Cerriglio. On célèbre ce triomphe par de telles orgies, que le château est transformé en taverne ; c’est la dernière transformation du poème. Cerriglio était le nom d’une taverne des faubourgs de Naples.

Un style pittoresque, une phrase vive jusqu’à réclamer le secours du geste, un entrain tout particulier dans la mise en scène, une stance toujours éclatante et sonore, pleine de bruit et de jactance, une facilité prodigieuse dans la conception des personnages, sont les mérites de Cortese. Jamais, avant lui, la poésie napolitaine n’avait été si animée et si bruyante ; le patois devient, entre les mains de Cortese, une onomatopée continuelle. Un combat de Sacripant avec un guerrier nommé Cesarone est décrit de manière qu’on croit voir caracoler les combattans. Cortese n’a rien laissé en italien ; ce fut un bonheur pour lui : quand les poètes municipaux quittent leur patois, ils sont atteints encore plus que les autres par la corruption et par l’impuissance de la littérature nationale de l’époque. Les compositions où Cortese s’est rapproché de la littérature italienne, ne fût-ce que par le sujet, sont ses plus faibles ouvrages. La revue des poètes qui se trouve dans son Voyage au Parnasse, est pitoyable ; son petit roman en prose sur les Amours aventureux d’un gentilhomme n’offre ni la naïveté fantasque de Basile, ni la vivacité des scènes populaires qui fourmillent dans ses poèmes. Le drame pastoral de la Rose, visiblement écrit sous l’influence du Pastor fido, est gâté par les images fausses et par les exagérations de la mauvaise école italo-espagnole qui dominait alors sous le patronage de