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DE LA LITTÉRATURE POPULAIRE EN ITALIE.

pine les vieillards se demandaient qui gouvernerait Milan. Il n’y avait plus ni Espagnols, ni Autrichiens, ni Français ; c’était la fin du monde pour les bons bourgeois comme Pelizzoni et Zanoja. Mais, sous Napoléon, la révolution s’organisa ; elle passa dans les mœurs ; l’ancienne Lombardie disparut avec ses fiefs et ses couvens ; dix ans plus tard, on ne vit plus dans les idées de l’ancien régime qu’une lourde bouffonnerie. Charles Porta, le poète de la nouvelle génération, tourna en ridicule les vieilleries que Maggi avait prises au sérieux. Sans aucune arrière-pensée, sans faire de la politique, sans trop savoir ce que c’était que la poésie populaire ou la littérature classique, en bon employé napoléonien, Porta furetait les cachettes du vieux Milan ; puis, quand il avait découvert une marquise, un abbé, des nonnes, un Meneghino du vieux temps, il le disait à ses amis, et ses contes très simples étaient d’un comique irrésistible. Quinzia, la dame italo-espagnole de Maggi, joue un grand rôle dans la poésie de Porta ; Maggi l’avait respectée ; chez Porta, elle provoque le fou-rire. Rien de plus bouffon que ses jugemens sur Dieu, sur les prêtres, la canaille et les nobles ; voulant faire choix d’un chapelain, elle voit bientôt son hôtel se remplir de prêtres qui arrivent en souliers ferrés des campagnes les plus reculées pour solliciter la place vacante. L’insolence de la marquise, la grossièreté des abbés et des valets, produisent les effets les plus grotesques. Dans un autre conte, on voit la marquise entrer dans une église pour vouer à la colère de Dieu les gamins et les gens du peuple qui n’ont pu s’empêcher de rire en la voyant tomber de voiture ; sa courte prière, prononcée dans un baragouin italo-milanais, est un chef-d’œuvre. Le bon Maggi était dévot, il adressait ses vers à des religieuses, à des prêtres ; Balestrieri ne tarissait pas en éloges sur monseigneur l’évêque et le haut clergé ; Porta transporta tous ces personnages dans ses contes. Des prêtres aux gages des marquises et obligés de dire la messe en quinze minutes, de porter des fagots, des paniers, et d’aller chez la modiste ; des abbés mangeurs, buveurs, qui jouent trois jours d’avance les profits des funérailles, ou qui entremêlent les versets latins des psaumes de propos grivois ; des nonnes supprimées entourées de vieux bourgeois et de dévots ; des prêtres animés d’une colère burlesque contre la France et les incrédules, d’autres qui raisonnent à perte de vue sur la corruption du siècle et mettent sur la même ligne les scandales de Rome, les écoles lancastriennes, les grands crimes, le romantisme et le libéralisme : voilà les types ridicules que Porta se plaît à mettre en scène. Puis vient le cauteleux Meneghino, fort embarrassé par la présence des soldats français ; il se dédouble dans les deux personnages de Jean Bongé et de Marchionn-Cagneux ; le premier est la création de Porta, le second est tiré des dialogues de Maggi et de Balestrieri. Jean est un ouvrier très poltron : quand le soir, en rentrant chez lui, il rencontre une patrouille, c’est pour lui un grand évènement. Il est marié, sa femme est jolie ; le poète ne dit pas si elle est honnête, mais le pauvre Jean se rencontre toujours avec des dragons français qui rôdent sous sa fenêtre, et, victime de sa simplicité, il n’attrape que des coups quand il essaie de faire des remontrances. Marchionn-