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fert ? dit Mme S…, qui voulait pénétrer dans l’ame de Montgenays ; ce n’est pas ce que vous disiez tout à l’heure. Vous nous parliez de folies de jeune homme qui vous auraient un peu étourdi sur les chagrins de l’absence. — Je me prêtais à la plaisanterie que vous m’adressiez, répondit Montgenays, Laurence ne s’y fût pas trompée. Elle sait bien qu’il n’est plus de folies, plus de légèretés de cœur possibles à l’homme qu’elle honore de son estime. — En parlant ainsi, son œil brillait d’un feu qui donnait à ses paroles un sens fort opposé à celui d’une paisible amitié. Pauline épiait tous ses mouvemens ; elle vit ce regard, et elle en fut atteinte jusqu’au cœur. Elle pâlit et repoussa la main de Laurence par un mouvement brusque et hautain. Laurence eut un moment de surprise. Elle interrogea des yeux sa mère, qui lui répondit par un signe d’intelligence. Au bout d’un instant, elles sortirent sous un léger prétexte, et, enlaçant leurs bras l’une à l’autre, elles firent quelques tours de promenade sur la terrasse du jardin. Laurence commençait enfin à pénétrer le mystère d’iniquité dont s’enveloppait le lâche amant de Pauline. — Ce que je crois deviner, dit-elle à sa mère avec agitation, me bouleverse. J’en suis indignée, je n’ose y croire encore. — Il y a long-temps que j’en ai la conviction, répondit Mme S… Il joue une odieuse comédie ; mais ses prétentions s’élèvent jusqu’à toi, et Pauline est sacrifiée à ses orgueilleux projets. — Eh bien ! répondit Laurence, je détromperai Pauline ; pour cela, il me faut une certitude ; je le laisserai s’avancer, et je le dévoilerai quand il se sera pris au piége. Puisqu’il veut engager avec moi une intrigue de théâtre si vulgaire et si connue, je le combattrai par les mêmes moyens, et nous verrons lequel de nous deux sait le mieux jouer la comédie. Je n’aurais jamais cru qu’il voulût se mettre en concurrence avec moi, lui dont ce n’est pas la profession.

— Prends garde, dit Mme S…, tu t’en feras un ennemi mortel, et un ennemi littéraire, qui plus est.

— Puisqu’il faut toujours avoir des ennemis dans le journalisme, reprit Laurence, que m’importe un de plus ? Mon devoir est de préserver Pauline, et, pour qu’elle ne souffre pas de l’idée d’une trahison de ma part, je vais, avant tout, l’avertir de mes desseins.

— Ce sera le moyen de les faire avorter, répondit Mme S… Pauline est plus engagée avec lui que tu ne penses. Elle souffre, elle aime, elle est folle. Elle ne veut pas que tu la détrompes. Elle te haïra quand tu l’auras fait.

— Eh bien ! qu’elle me haïsse s’il le faut, dit Laurence en laissant