Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 21.djvu/650

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
646
REVUE DES DEUX MONDES.

même temps ma triste santé parut lui inspirer une compassion affectueuse qui se marquait à tout moment par les soins les plus aimables. En me voyant dans cet état critique, il s’oublia lui-même et ne pensa plus qu’à moi. Notre longue conversation, dont il fit tous les frais, m’ayant ému et laissé très faible, le soir il revint savoir de mes nouvelles, puis il revint le lendemain, puis le lendemain encore, et, au bout de quelques jours, nous étions l’un pour l’autre comme si nous avions passé toute notre vie ensemble. Le nom qu’il avait pris était celui de Conti ; il était logé tout près de moi, rue des Francs-Bourgeois-Saint-Michel, vis-à-vis la rue Racine, dans une chambre garnie bien près des toits, avec un de ses amis de Turin qui, sans avoir pris aucune part à la révolution et sans être compromis, avait quitté volontairement son pays pour le suivre. Quel est donc cet homme avec lequel on préfère l’exil aux douceurs de la patrie et de la famille ? Il est impossible d’exprimer le charme de son commerce. Ce charme était pour moi, je le répète, dans l’union de la force et de la bonté. Je le voyais toujours prêt, à la moindre lueur d’espérance, à s’engager dans les entreprises les plus périlleuses, et je le sentais heureux de passer obscurément sa vie à soigner un ami souffrant. Son cœur était un foyer inépuisable de sentimens affectueux. Il était bon jusqu’à la tendresse pour tout le monde. Rencontrait-il dans la rue, en venant chez moi, quelque malheureux ? il partageait avec lui le denier du pauvre. Son hôtesse, une vieille femme que je vois encore, était-elle un peu malade ? il la soignait comme s’il eût été de sa famille. Quelqu’un avait-il besoin de ses conseils ? il les prodiguait, et tout cela par un instinct irrésistible dont il n’avait pas même la conscience. Aussi était-il impossible de le connaître sans l’aimer. Je doute que jamais créature humaine, même une femme, ait été autant aimée. Il avait à Turin un ami auquel il avait pu confier sa femme et ses enfans, et un autre l’avait accompagné dans l’exil. Voici du sentiment qu’il inspirait une preuve bien frappante. Autrefois, tout enfant, servant à l’armée des Alpes, dans le régiment de son père, on lui avait donné pour camarade un enfant de son pays, qui, depuis, avait quitté l’armée et le Piémont, et avait perdu de vue son jeune maître ; mais il lui en était resté un souvenir profond, et un jour, dans son grenier de la rue des Francs-Bourgeois, le noble comte, tombé dans la misère, avait vu arriver tout à coup le pauvre Bossi, limonadier à Paris, qui ayant appris par les journaux les aventures de son jeune officier, n’avait pas eu de repos qu’il n’eût découvert sa demeure, et il venait lui offrir ses économies. Plus