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SANTA-ROSA.

tard, combien de fois, en me rendant le matin à la prison de Santa-Rosa, n’ai-je pas trouvé à la porte de la salle Saint-Martin Bossi ou sa femme avec un panier de fruits, attendant des heures entières qu’on leur ouvrît la porte, se glissant avec moi et remettant leur offrande au prisonnier avec le respect d’un ancien serviteur et la tendresse d’un véritable ami !

Depuis la fin d’octobre 1821 jusqu’au 1er  janvier 1822, nous vécûmes ensemble dans la plus douce et la plus profonde intimité. Pendant tout le jour, jusqu’à cinq ou six heures du soir, il restait dans sa petite chambre de la rue des Francs-Bourgeois, occupé à lire et aussi à préparer un ouvrage sur les gouvernemens constitutionnels au XIXe siècle. Après son dîner, et la nuit venue, il sortait de sa cellule, gagnait la rue d’Enfer, où je demeurais, et passait la soirée avec moi jusqu’à onze heures ou minuit. De mon côté, j’avais arrangé ma vie à peu près comme lui : je passais la journée dans les médicamens et dans Platon ; le soir je fermais mes livres et recevais mes amis. Santa-Rosa avait la passion de la conversation, et il causait à merveille ; mais j’étais si languissant et si faible, que je ne pouvais supporter l’énergie de sa parole. Elle me donnait la fièvre et une excitation nerveuse qui se terminait par des abattemens et presque des défaillances. Alors l’homme énergique, à la voix ardente, faisait place à la créature la plus affectueuse. Combien de nuits n’a-t-il pas passées au chevet de mon lit avec ma vieille gouvernante ! Dès que j’étais mieux, il se jetait tout habillé sur un sofa, et malgré ses chagrins, avec sa bonne conscience et une santé incomparable, il s’endormait en quelques minutes jusqu’à la pointe du jour.

Je dois faire ici son portrait. Santa-Rosa avait à peu près quarante ans ; il était d’une taille moyenne, environ cinq pieds deux pouces. Sa tête était forte, le front chauve, la lèvre et le nez un peu trop gros, et il portait ordinairement des lunettes. Rien d’élégant dans les manières ; un ton mâle et viril sous des formes d’ailleurs infiniment polies. Il était loin d’être beau ; mais sa figure, quand il s’animait, et il était toujours animé, avait quelque chose de si passionné, qu’elle en devenait intéressante. Ce qu’il y avait de plus remarquable en lui était une force de corps extraordinaire. Ni grand ni petit, ni gros ni maigre, c’était un véritable lion pour la vigueur et pour l’agilité. Pour peu qu’il cessât de s’observer, il ne marchait pas, il bondissait. Il avait des muscles d’acier, et sa main était un étau, où il enchaînait les plus robustes. Je l’ai vu lever, presque sans effort, les tables les plus pesantes. Il était capable de supporter les plus