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et à Paris, par conséquent au comble de mes vœux, ou en Angleterre. Il n’y a pas d’intermédiaire possible ni convenable. »


Bourges, 1er  octobre.

« Je pars demain à midi. M. Franchet a répondu qu’il ne permettrait pas que je me rendisse à Calais sans escorte. J’aurai donc un gendarme. Je passe par Orléans et Paris. C’est après-demain, entre cinq heures et demie et sept heures du soir que j’arriverai à Paris. J’ai promis de ne rester à Paris que le temps nécessaire pour passer, en quelque sorte, d’une diligence à l’autre. J’aurai à peine le temps de te serrer la main et de t’embrasser.

« Je suis tranquille, parce que ma résolution était commandée par ma situation ; mais je sens au fond du cœur une tristesse mêlée d’inquiétude. Je suis sûr de regretter Alençon plus d’une fois ; mais c’est la Providence qui me pousse en Angleterre, et j’obéis… Mon ami, tu es une grande partie de mon existence morale. Si tu savais avec quel serrement de cœur je t’écris ! Il y a bien peu de personnes, non, je crois qu’il n’y en a qu’une sur la terre à qui j’écrive avec plus d’émotion qu’à toi. »


Santa-Rosa avait raison ; nous pûmes à peine nous voir quelques minutes à son passage à Paris. Il lui fut permis de se rendre chez moi avec un gendarme, et ce fut devant ce gendarme que nous nous fîmes des adieux qui devaient être éternels. Sans doute, à cette époque, ni lui ni moi n’avions ce funeste pressentiment ; il était soutenu par la pensée d’accomplir un devoir ; moi, j’avais peur de céder à une sorte d’égoïsme en le retenant en France, au milieu des ombrages et des tracasseries de la police, et pourtant un instinct secret remplit pour moi d’une amertume inexprimable cette heure fatale où il me sembla que je le perdais pour toujours. Nous échangeâmes à peine quelques paroles, et je le reconduisis silencieusement à la diligence qui l’emporta loin de moi. Bientôt il avait quitté la France pour laquelle il était fait, et il était comme perdu dans cet immense désert de Londres, sans fortune, sans ressource, sans un seul ami véritable, lui qui ne savait vivre que pour aimer ou pour agir. Après les premiers momens d’activité inquiète pour se créer une situation supportable, l’infortuné tomba bientôt dans une mélancolie profonde dont il sortait quelque temps pour y retomber bientôt, jusqu’à ce qu’enfin l’ennui de cette vie, ou solitaire ou dissipée, le conduisit à