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de recomposition intérieure dans lequel il y a lieu d’agir, et plus lieu assurément qu’à aucun des instans qui ont couru durant ces dix dernières années.

Il semble qu’après dix ans les dispositions littéraires se rejoignent plus qu’elles n’avaient fait dans l’intervalle, qu’elles se rapprochent du moins ; on ne revient pas au point de départ sans doute, et le cercle ne se ferme pas ; mais il y a une sorte de correspondance, comme d’un cercle à l’autre dans la spirale. On revient, après dix ans, en vue des mêmes idées, non plus pour y aborder, mais pour les juger ; si on y revient ensemble, il y a de quoi se consoler peut-être. On a l’ardeur et la rapidité de moins, on a l’expérience de plus.

Le mouvement littéraire de la restauration était au plus plein de son développement, et au plus brillant de son zèle, quand il fut brisé et comme licencié par le coup d’état de juillet, et par les journées qui s’ensuivirent. Un grand nombre des plus éminens et des plus actifs champions de cette croisade si animée passèrent immédiatement à la politique pratique, et parurent cesser d’être gens de lettres. Ceux qui n’étaient ni aussi à portée des choses ni aussi mûrs, qui n’avaient pas épuisé leurs vingt-cinq ans ni leur chimère, ne s’abattirent pas et essayèrent de continuer. De cette persévérance sortit plus d’une œuvre imprévue. Il se manifesta chez la plupart de ceux qui tinrent la campagne une seconde phase (et pas toujours progressive) de leur talent : il y eut bien des coups de vent dans les bannières. Cependant un petit nombre de nouveaux-venus prirent rang avec éclat ; mais, depuis dix ans, ces nouveaux-venus eux-mêmes ont eu le temps d’en venir à leurs phases secondes. La politique, à son tour, ayant graduellement épuisé ses ardeurs, a rendu quelque loisir, au moins de coup-d’œil, à ceux qui s’y étaient d’abord absorbés. Plusieurs même, et des plus éminens, se remettent à écrire, avec lenteur et discrétion sans doute, mais enfin ils s’y remettent. On se rencontre, on se retrouve sur un terrain un peu neutre ; mais c’est quelque chose de se retrouver. Et ceux qui étaient encore en feu il y a dix ans, et ceux qui se sont produits et déjà fatigués depuis, et ceux qui ressaisissent aujourd’hui de bons éclairs d’une ferveur littéraire long-temps ailleurs détournée, tous ne sont pas si loin de s’entendre pour de certaines vues justes, de certains résultats de goût, de sens rassis et de tolérance. Si l’on excepte quelques illustres incurables, auxquels les années n’ont guère appris, la plupart, d’un côté ou d’un autre, sont arrivés à un fonds commun ; ce que j’appelle les secondes phases du talent a tourné chez presque tous