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arrêté. Nous ne nous en plaignons pas, parce que nous aimons, avant tout, la sincérité du gouvernement représentatif. Le ministère du 12 mai étant tombé par le rejet de la loi de dotation, les dépouilles devaient appartenir aux vainqueurs, au centre gauche et aux doctrinaires aussi, qui, tout en ayant, la plupart du moins, voté la loi par courtoisie et à contre-cœur, n’en étaient pas, assure-t-on, les partisans, et se trouvaient d’ailleurs, par les réminiscences de la coalition, dans des relations plus amicales avec le centre gauche qu’avec les 221.

M. de Broglie refusant le pouvoir et M. Guizot gardant son ambassade, les doctrinaires n’ont pu obtenir la présidence du conseil et ont accepté la présidence de M. Thiers, comme M. Thiers était disposé à accepter celle de M. de Broglie. M. de Rémusat a l’un des deux grands ministères, M. Jaubert un ministère fort important aujourd’hui, le ministère des travaux publics : telles sont du moins les nouvelles du jour. La crise ne durerait ainsi qu’une semaine. C’est merveilleux dans ce temps-ci. Une si courte gestation annonce-t-elle au nouveau-né une longue vie ?

Nous dirons notre pensée sans détour. Tout ami sincère de son pays doit désirer une administration forte et durable. C’est là un vœu général. On n’est pas seulement fatigué, on est effrayé de ces agitations sans but, de ces crises, de ces interrègnes ministériels qui compromettent à la fois la dignité du pouvoir et la paix du pays. Le ministère qu’on nous annonce, composé d’hommes capables, de notabilités parlementaires, se trouverait formé, nous l’avons dit, dans les conditions du gouvernement représentatif. Quoi qu’on pense au point de vue politique et moral du moyen employé contre le 12 mai, toujours est-il que l’administration se trouverait confiée aux mains qui l’ont renversé. On ne dirait pas cette fois qu’on a cherché à éluder les résultats de l’action régulière de notre machine politique. Il n’y aurait pas de prise pour la calomnier.

Mais l’avénement du ministère changerait-il la situation de la chambre ? Les 221, que la réunion Jacqueminot cherche de nouveau à organiser, se résigneraient-ils à la nouvelle administration ? M. Thiers pourrait-il du moins en détacher une partie assez considérable pour qu’une majorité forte, compacte, pût enfin se réaliser, et nous replacer dans les conditions régulières de notre gouvernement ?

Il est évident que si le camp tout entier des 221 repoussait tout accord, la durée du ministère serait compromise, à cette formidable opposition venant tout naturellement se joindre les amis du ministère du 12 mai.

Le problème ne peut être résolu, et la majorité désirable se former qu’en donnant aux hommes du centre des garanties de modération et des preuves d’impartialité qui calment leur irritation, qui dissipent leurs doutes et leur fassent surmonter leurs répugnances.

Certes, ce n’est pas à l’homme d’état qui va présider la nouvelle administration que peuvent échapper les difficultés et les nécessités de la situation. Si tout dépendait de sa sagacité, de son jugement, de son action personnelle, nous serions complètement rassurés.