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Scipions, la lutte héroïque de Viriates, le siége sanglant de Numance, les chances guerrières de Metellus, de Sertorius et de Perpenna, toutes ces vieilles histoires enfin qu’on sait du collége, mais auxquelles M. Rosseeuw Saint-Hilaire a su souvent conserver leur caractère de grandeur antique. Avec l’empire, l’Espagne, devenue province romaine, n’a plus d’annales, pour ainsi dire ; sa nationalité s’efface, elle ne se distingue plus par un caractère propre, et son histoire alors n’est autre que celle de la Gaule et de Rome.

Ce n’est qu’avec l’invasion des Goths que recommence l’histoire d’Espagne. Cette partie du livre de M. Saint-Hilaire est tout-à-fait digne d’éloges. Ce qu’il raconte de la domination gothique en Espagne, la conversion de Rechared au catholicisme, le règne des rois orthodoxes à Tolède, la persécution des Juifs sous Sisebut, enfin le long déclin et la chute de cette monarchie de l’invasion, offrent un tableau plein d’intérêt. Cependant la partie vraiment neuve de ce travail, c’est l’examen de la constitution ecclésiastique, des conciles, de l’épiscopat, des couvens des Goths ; c’est surtout l’étude de leur législation et de leur code, de leurs formes juridiques et pénales, des modifications qu’ils ont apportées à l’esclavage, de leur agriculture et de leur commerce. M. Rosseeuw Saint-Hilaire n’a pas été aussi heureux dans les détails, trop étendus et peu proportionnés avec son cadre, qu’il a donnés sur l’origine des Goths, sur leur histoire antérieure à l’invasion de l’Espagne. Cette exposition manque de dégagement, et on sent à chaque instant l’embarras. C’est que, quand il parle si au long de la conquête de l’Italie et d’Alarich, quand il insiste sur Attila, sur l’empire gothique de Gaule, M. Rosseeuw Saint-Hilaire n’est pas dans son sujet. Avec les Arabes et leur rapide conquête, il ne tarde pas à prendre sa revanche.

Fondé par la guerre, l’islamisme devait pousser à la guerre et aux conquêtes les peuples qu’il avait soumis. Une pensée politique et religieuse présidait aux expéditions des Arabes contre l’Europe. Ils voulaient reculer jusqu’aux dernières limites du monde connu les bornes du royaume de Damas ; et quand ils arrivèrent en Espagne, ce n’était pas comme les Normands, par instinct de pillage, par amour de lointaines et belliqueuses aventures, c’était pour prendre racine sur le sol et dans l’espoir aussi d’acquérir au prophète des empires nouveaux. M. Saint-Hilaire fait habilement ressortir les causes apparentes ou détournées qui arrachèrent à l’Asie et à l’Afrique ces hordes musulmanes. — Trois ans suffisent à la conquête. Les Arabes marchent au combat comme les premiers chrétiens marchaient au martyre ; ils se battent et meurent avec l’enthousiasme du fanatisme. La guerre qu’ils apportent est terrible, et pour montrer qu’ils ne redoutent pas la famine plus que l’épée, ils font cuire, sous les murs d’Écija, les cadavres restés sur le champ de bataille, et annoncent aux Espagnols qu’à défaut de vivres ils sont décidés à se nourrir de leur chair. Quand les fascines manquent pour l’assaut, ils comblent les fossés avec des morts, et ces fascines-là ne manquent jamais, car les Espagnols, malgré les revers, n’ont pas oublié Numance et Sagonte. Retranchés sur leurs murailles, ils meurent jusqu’au dernier, et, si les historiens arabes ont souvent