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CONSTANTINOPLE.

risiennes de 1832. La princesse, assise sur un tapis de Smyrne, était flanquée de ses deux filles, petites personnes assez jolies et passablement coquettes, qui surent confier à chaque passager leur désir de visiter Paris, Londres ou Vienne, et de trouver promptement un mari.

Anglais, Italiens, Allemands, venaient souvent faire cercle autour du noble groupe ; et le français devenait pour un moment le lien de cette réunion hétérogène, à tel point que ceux qui ne pouvaient parler notre langue, abandonnés de tous, n’avaient contre leur ennui d’autres remèdes que les douces rêveries excitées par le chibouk et le café d’Arabie. Un gros bourgeois de Hambourg entretenait la gaieté de l’assemblée par un feu continuel de quolibets et de grosses plaisanteries : ce brave homme, touriste de profession, avait parcouru le monde entier ; mais, comme beaucoup de monomanes de même espèce, lorsqu’il avait comparé les auberges d’Allemagne à celles d’Italie, et le bordeaux au porter, il se trouvait au bout de sa science.

Le lendemain de bonne heure nous quittâmes le port de Galatz. Les Balkans apparaissent à quelque distance de la rive droite du fleuve ; les steppes de la Bessarabie descendent jusqu’à la rive gauche, qui, de l’embouchure du Sheret à celle du Pruth, paraît presque entièrement déserte. La misérable ville de Réni est située à peu de distance de cette seconde rivière. Vers midi, nous arrivâmes devant Tuldscha, où la maladresse de notre capitaine, dont la tournure annonçait plutôt un maître-d’hôtel bien nourri qu’un marin consommé, faillit nous faire échouer. Tuldscha, bâtie sur le flanc d’une belle colline ; ressemble, comme toutes les villes turques, à une ravissante décoration de théâtre ; approchez, l’illusion s’enfuit. Chacune de ces maisons, qui, vues à distance, promettent un séjour délicieux, est un cloaque habité par la misère et par une malpropreté sans exemple. Tuldscha néanmoins ne manque pas d’une certaine importance ; elle fait un commerce assez considérable de poissons salés, de bois et de grains, qui profitera sans doute du réveil de l’industrie dans ces contrées où les hommes, abrutis par la crainte et la paresse, ont long-temps semblé prendre à tâche d’anéantir les bienfaits de la création. De Tuldscha jusqu’à son embouchure, le Danube est triste et monotone ; tantôt il coule resserré par des îles dont la solitude n’est troublée que par d’innombrables troupes de pélicans, tantôt il déploie au loin une énorme masse d’eau. Un assez grand nombre de navires se croisèrent avec notre paquebot ; de distance en distance, des carènes échouées et des agrès flottans rappellent que le Danube, comme la