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une époque bien glorieuse pour l’art dramatique. Suivant une loi dont on retrouve souvent l’application dans l’histoire de l’esprit humain, et qui tient à son imperfection irrémédiable, le dernier terme de progrès devait coïncider avec les premiers développemens des germes de décadence.

Nous venons de caractériser l’époque littéraire à laquelle appartient Moreto. Ces explications étaient peut-être nécessaires pour faire bien comprendre ce que nous avons à dire sur ce grand poète.


On sait fort peu de choses de la vie de don Augustin Moreto. Né vers le commencement du XVIIe siècle, et un peu plus jeune que Calderon, il mourut le 28 octobre 1669, à Tolède, où le retenaient depuis plusieurs années les fonctions d’un emploi ecclésiastique. On voit que, comme Lope et Calderon, il termina au service de l’église une existence commencée sous de tout autres auspices. Ses dernières années furent, dit-on, entièrement consacrées à l’accomplissement des devoirs de sa nouvelle profession et à la composition de poésies sacrées.

Moreto, le premier incontestablement des poètes dramatiques de l’Espagne, après les deux grands hommes que nous venons de nommer, ne leur est même inférieur que par une circonstance qui affecte plutôt sa personne que ses ouvrages. Il paraît avoir été dépourvu de cette fécondité, de cette puissance d’invention qui distinguaient si éminemment l’auteur de l’Étoile de Séville et de tant d’autres chefs-d’œuvre. Ses comédies, beaucoup moins nombreuses, sont d’ailleurs presque toujours des imitations, des emprunts faits à ses prédécesseurs ou à ses contemporains ; parfois même ces imitations serrent de si près l’original, qu’on serait tenté d’y voir de véritables copies. Hâtons-nous d’ajouter que dans ces luttes corps à corps avec des modèles qui, certes, auraient écrasé un talent médiocre ou secondaire (car c’est presque toujours à Lope qu’il s’attaque de la sorte), Moreto est constamment victorieux.

Il surpasse d’ailleurs tous les autres poètes espagnols par la régularité et la sagesse de ses compositions, par l’habileté et en même temps par la simplicité, au moins relative, qui président presque toujours à l’arrangement du plan et à la conduite de l’action. L’intrigue, moins compliquée chez lui que chez Calderon, fatigue moins l’esprit du spectateur ou du lecteur, et, avec plus de vraisemblance, elle a aussi plus d’intérêt ; ses dénouemens sont plus naturels, mieux préparés, plus facilement amenés ; son style, un peu moins riche de poésie, sans être entièrement exempt de la contagion du gongorisme, en est beaucoup moins infecté ; la versification n’a ni moins d’élégance ni moins de facilité, et on trouve dans ses dialogues la même délicatesse, la même grace, le même mélange de gaieté fine et de noble courtoisie.

Dans les comédies de cape et d’épée, celui de tous les genres de drames qu’il a traité le plus souvent et avec la supériorité la plus incontestée, il possède une plénitude de force comique qui a manqué à Lope aussi bien qu’à Calderon. L’art de peindre les ridicules, de soutenir les caractères, d’y ratta-