Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 21.djvu/768

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
760
REVUE DES DEUX MONDES.

On vient annoncer à don Tello qu’un voyageur demande à lui parler. « Qu’on le fasse entrer sur-le-champ, dit-il ; mes portes sont ouvertes pour tous ceux qui veulent me voir ; aujourd’hui, surtout, je désire avoir de nombreux témoins de mon bonheur. »

Le roi est introduit ; ici commence une scène admirable.

Don Tello. — Il a l’air distingué.

Le Roi, à part. — Le mal appris ne sait pas qui entre chez lui, et il reste assis. Peu s’en faut que je ne le jette à bas de son siége ; mais il convient de dissimuler et de lui laisser ignorer qui je suis, pour qu’ensuite son châtiment exemplaire serve de leçon à tous ces tyrans. (Haut.) Je prie votre seigneurie de me donner sa main à baiser.

Don Tello. — Couvrez-vous.

Le Roi. — C’est ce que j’allais faire ; jamais je ne parlerai découvert à qui me recevra assis.

Don Tello. — Holà ! un tabouret.

Le Roi. — Encore !… soit !

Don Tello. — Je n’ai que deux fauteuils, l’un pour mon épouse bien-aimée (montrant dona Maria), l’autre pour moi. N’en soyez pas blessé, c’est tout au plus si les hommes de ma qualité offrent leur fauteuil au roi.

Le Roi. — Je vois que c’est une marque de votre grandeur, et je me contente de ce qui m’appartient.

Don Tello. — Quoique votre aspect dise assez que vous êtes gentilhomme, puis-je savoir quel rang vous occupez dans la noblesse ?

Le Roi. — Mon nom est Aguilera ; je suis de la montagne.

Don Tello. — Je connais votre nom, il y a eu des Aguilera écuyers dans ma maison. Et quel est l’objet de votre voyage ?

Le Roi. — Je suis la cour pour un procès.

Don Tello. — Comment, lorsqu’on peut recourir à l’épée pour se faire justice, va-t-on dépenser son argent en procès ?

Le Roi. — J’obéis à la loi… Le roi est en ce moment à Madrid.

Don Tello. — Il a amené, pour nous édifier, sans doute, sa chère Padilia…

Le Roi, se levant. — Son épouse et votre reine… Quiconque parlera de lui autrement qu’avec le respect qui lui est dû, mon épée…

Don Tello. — Bien, très bien, je vois que le bon Aguilera est un sujet dévoué à son roi.

Le Roi. — Je m’en fais gloire.

Don Tello. — Asseyez-vous, bon Aguilera ; ainsi donc, le roi est à Madrid ?

Le Roi. — Si vous voulez le voir, il est temps d’y aller.

Don Tello. — Si le roi pense que je puis lui être de quelque utilité, ma maison est prête à le recevoir ; les rois qui ont bien voulu s’y arrêter y ont toujours été accueillis comme des parens. Je me souviens que plus d’une fois cet appartement même a reçu le grand Alfonse. Celui-là était un roi, mais on dirait que son fils n’a d’autre pensée que de flétrir son glorieux héritage.