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MORETO.

proche avec timidité et veut se jeter à ses pieds. Le roi le regarde fixement et continue sa lecture. Don Tello, après un moment d’attente, se hasarde à faire l’observation qu’il est venu parce qu’on l’a appelé. Le roi lui demande qui il est, et, sans écouter sa réponse, s’entretient avec un des seigneurs de la cour. Le rico hombre, retrouvant quelque courage dans l’excès de son humiliation, fait une nouvelle tentative pour sortir.


Le Roi. — Restez.

Don Tello. — Sire, pour que je puisse… permettez… je vous demande… la faveur…

Le Roi. — Comment un homme à qui je n’inspire aucune crainte s’est-il ainsi troublé à mon aspect ?

Don Tello. — Je ne suis pas troublé.

Le Roi. — Je crains pour vous que vous ne le soyez bientôt. Approchez.

Don Tello. — Sire, vous me voyez à vos pieds… Vous laissez tomber votre gant.

Le Roi. — Que dites-vous ?

Don Tello. — Que je suis venu…

Le Roi. — Ne le sais-je pas ?

Don Tello. — Si je dois considérer comme un favorable augure que lorsque je viens vous baiser la main vous perdiez votre gant…

Le Roi. — Pourquoi ne me le rendez-vous pas ?

Don Tello. — Le voici.

Le Roi. — Pour un homme si fier vous êtes bien troublé. Qu’avez-vous donc ?…

Don Tello. — Votre gant… (Dans sa confusion c’est son propre chapeau qu’il présente au roi au lieu du gant qu’il vient de ramasser.)

Le Roi. — Que signifie ce chapeau que vous m’offrez ? Je ne le veux qu’avec votre tête. C’est donc vous qui dans votre maison daignez à peine donner un siége au roi lui-même ? C’est vous, le rico hombre d’Alcala, qui vous croyez plus puissant que le roi en Castille, qui pensez que toutes les lois, moins la loi divine, sont au-dessous de vous, comme si celui qui méconnaît les lois humaines ne violait pas aussi celles de Dieu ? C’est vous, vous l’avez dit devant moi, qui entrez en partage de ma puissance, puisque vous ne permettez pas qu’on exécute sans votre autorisation les ordres revêtus de ma signature ? C’est vous qui ne reconnaissez d’autre règle que votre bon plaisir, et qui, pour satisfaire le moindre de vos caprices, sacrifiez sans pitié l’honneur des femmes et des filles qui ont eu le malheur d’attirer vos regards ?… Apprenez, puisque vous l’ignorez, que pour punir de tels excès, un roi n’a pas même besoin de courage personnel ; que la loi, l’impassible loi, frappe pour lui, sans colère, sans violence ; que l’audace du crime ne peut rien contre la puissance de la justice. Contre le roi, la valeur et la ruse sont également impuissantes, son glaive atteint le criminel avant même que celui-ci ne l’ait vu sortir du fourreau. Apprenez, de plus, que je ne suis pas seulement votre roi, que