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soit restée au théâtre ou dans le souvenir des amis des lettres. C’est par ses comédies de cape et d’épée qu’il a surtout, nous l’avons déjà dit, conquis sa glorieuse renommée.

Nous ne savons pourtant s’il faut ranger dans cette classe le drame admirable qu’il a appelé Dédain contre Dédain, et qui, par le choix des personnages comme par l’élévation et l’élégance soutenue de la diction, semble appartenir à un genre intermédiaire.

Dans cette composition, Moreto a encore marché sur les traces de Lope de Vega. Il existe deux comédies de Lope, la Belle Laide et les Miracles du Mépris, où il semble vouloir démontrer que, pour triompher des rigueurs d’une femme, le moyen le plus efficace est de paraître la dédaigner. Telle est aussi l’idée qui préside à l’œuvre de Moreto, et qu’il y développe avec une telle supériorité, qu’il serait puéril de lui reprocher de n’avoir pas eu le premier la pensée de transporter sur le théâtre un de ces lieux communs, féconds seulement lorsqu’un homme de génie se charge de les exploiter.

C’est en Catalogne, à une époque non déterminée du moyen-âge, qu’il a placé le lieu et le théâtre de l’action. La fille du comte de Barcelonne, la princesse Diane, belle, spirituelle, savante, pleine du sentiment de son mérite et d’un goût excessif d’indépendance, s’est promis de ne jamais se soumettre aux lois du mariage et de ne répondre que par le mépris et la haine à l’amour qu’on lui témoignera. Vainement son père, dont elle est l’unique héritière, s’efforce d’ébranler une telle résolution ; vainement tous les princes voisins viennent solliciter sa main, et s’efforcent, par les fêtes brillantes qu’ils lui offrent, de lui prouver leur passion et de toucher son cœur : toutes ces tentatives ne font, pour ainsi dire, qu’exalter son orgueil dédaigneux et l’affermir dans ses refus.

Cependant, au nombre de ces prétendans, il en est un dont le caractère réservé et l’apparente froideur commencent à fixer son attention, c’est don Carlos, comte d’Urgel. Attiré d’abord à Barcelonne par la curiosité plutôt que par le désir bien positif de fixer le choix de Diane, il n’a pas tardé à concevoir pour elle une vive passion ; mais l’ardeur même de ce sentiment, la timidité qui suit presque toujours l’amour vrai et profond, l’incertitude ou plutôt l’extrême invraisemblance du succès, tout se réunit pour refouler au fond de son cœur les émotions auxquelles il est en proie.

Les conseils du gracioso Polilla, son valet et son confident, le décident à conserver cette attitude qui, bien qu’involontaire d’abord, est peut-être le meilleur moyen d’agir sur un esprit tel que celui de la princesse, en piquant son orgueil blasé à force d’hommages et d’adulations, et en fournissant un aliment momentané à son imagination bizarre et délicate tout à la fois. Dans le but de veiller de plus près au succès de cette combinaison, Polilla commence par s’introduire auprès de la princesse en qualité de bouffon de cour ; par la vivacité et l’à-propos de ses reparties, il réussit à l’amuser, à se mettre avec elle sur un pied de familiarité, à gagner peu à peu sa confiance. Il fait naître assez naturellement l’occasion de lui parler du comte d’Urgel, et en le lui