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MORETO.

peignant comme un homme d’un caractère fier et sauvage sur qui l’amour et la beauté n’exercent aucun empire, il excite peu à peu, dans l’ame de l’orgueilleuse Diane, le désir de triompher de cette nature rebelle.

Ce n’est d’abord en elle qu’un caprice sans conséquence qui l’agite d’autant moins qu’elle ne doute pas d’un prompt et facile succès. Un regard de bienveillance, quelques paroles d’une condescendance équivoque, suffiront, elle le croit, pour mettre à ses pieds le seul homme qui semble méconnaître l’empire de ses charmes, et elle se promet bien de lui faire alors expier cruellement le crime dont il s’est rendu coupable envers elle par un moment d’indifférence. Tel est déjà l’amour du comte d’Urgel, qu’averti par le gracioso du but de ces artifices, c’est tout au plus s’il puise dans cet avertissement la force nécessaire pour ne pas céder aux premières et faibles avances de la princesse.

Étonnée de cette résistance, elle revient à la charge. La lutte s’engage par des dissertations métaphysiques sur l’amour et la reconnaissance, sur le danger d’arriver au premier de ces sentimens par le second, sur la nécessité, lorsqu’on veut conserver son indépendance, de ne pas même répondre à la tendresse qu’on nous témoigne par l’expression d’une courtoisie bienveillante. C’est le comte d’Urgel qui, dans cette controverse, exprime les opinions les plus sévères, les plus rudes. La fière Diane, surprise et déconcertée, se trouve amenée comme malgré elle, comme à son insu et non sans un dépit évident, à prendre la défense, non pas encore de l’amour, mais des lois de la galanterie ou au moins de la simple politesse. Toutes ces dissertations sont d’une délicatesse et d’un agrément infini. Leur subtilité même, qui ailleurs paraîtrait excessive, est ici à sa place parce qu’elle est parfaitement dans la nature : ce sont bien là les premiers entretiens de deux amans qui n’en sont pas encore à se dire leur secret, et qui, n’osant ou ne voulant pas se parler l’un de l’autre, se jettent dans des allusions et des généralités où leur esprit, animé par le désir de briller et de plaire, prodigue toutes ses ressources.

Diane, mécontente du résultat de ces premières attaques et comprenant qu’elle perd peu à peu du terrain, veut tenter une épreuve plus décisive. On célèbre les fêtes du carnaval. Suivant l’usage catalan, elle décide que le jour même il y aura un sarao, espèce de ballet dans lequel chacun des danseurs doit conserver, pendant toute la soirée, la compagne que le sort lui a assignée, et prendre avec elle, sans qu’elle puisse s’en offenser, sans que d’ailleurs cela tire à conséquence, le langage et les manières d’un amant favorisé. Comme on le pense bien, Diane a pris ses mesures pour diriger l’œuvre prétendue du hasard, et c’est elle qui échoit au comte d’Urgel. Il y a ici une scène charmante.


Diane, à part. — Je triompherai de cet homme, ou je consens à passer pour la plus stupide des femmes. (Haut.) Vous êtes un galant bien froid ! On reconnaît à votre maintien la violence que vous avez à vous faire pour vous donner la seule apparence de la tendresse ; mais, puisqu’en en ce moment cette appa-