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gendre, Fourier, Fresnel, Jussieu, Ampère et Dulong, privée de la plupart de ses chefs naturels, ne savait plus autour de qui se grouper, et acceptait sans murmurer les pilotes qui s’emparaient du gouvernail. D’ailleurs, les nouveaux rapports qui s’étaient établis entre elle et le public ne tardèrent pas à réagir sur la direction de ses travaux. D’un côté, les applaudissemens de la galerie, que l’on n’obtenait que lorsqu’elle croyait comprendre les questions qui étaient traitées en sa présence, devaient peu à peu amener nécessairement l’Académie à descendre des hauteurs de la science pour se mettre à la portée de ceux qu’on lui avait donnés pour auditeurs et pour juges : c’est ainsi que les recherches abstraites, les travaux mathématiques, par exemple, qui autrefois avaient captivé principalement l’attention de ce corps savant, perdirent successivement de leur faveur, et cédèrent la place à des recherches moins élevées. D’autre part, les applications, et ce que l’on appelle les connaissances utiles, s’alliant nécessairement aux intérêts matériels, si prépondérans chez nous, contribuèrent à imprimer une nouvelle direction aux travaux académiques, qui ont été modifiés aussi par les fondations de M. de Monthyon. Je reviendrai plus tard, monsieur, sur ces célèbres fondations en général ; mais, pour ne pas sortir actuellement de l’Académie des sciences, il est hors de doute qu’en chargeant ce corps de distribuer chaque année des sommes très considérables pour des travaux de médecine pratique, de mécanique et de chimie appliquées aux arts, on a rendu un très mauvais service à l’Académie en masse, qui s’est trouvée engagée de plus en plus dans la voie de la science subalterne, et à chacun de ses membres en particulier, qu’on oblige à perdre un temps précieux pour examiner une foule d’inventions et d’ouvrages qui ne sont trop souvent que des entreprises purement industrielles. Enfin les travaux des membres de l’Académie ont été modifiés surtout par l’apparition des comptes rendus ; car, ce journal hebdomadaire offrant un moyen prompt et facile de publication, il en est résulté qu’au lieu de se livrer à des travaux de longue haleine, et de méditer profondément sur un sujet, comme on le faisait toujours autrefois pour rédiger les beaux mémoires qui sont la gloire de l’ancienne Académie des sciences, on s’est contenté quelquefois d’un premier aperçu, et l’on a livré à l’impression des notes incomplètes qui portent des traces évidentes de précipitation, et qui ne sauraient guère contribuer aux progrès des sciences ni à la réputation de leurs auteurs.

Voilà, monsieur, de bien grands changemens, et vous serez sans doute curieux de savoir quel est le dieu inconnu par lequel ils ont