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LE THÉÂTRE EN ITALIE.

expressif des acteurs. Les caractères et les dialectes des habitans des villes voisines de Florence, Lucques, Pérouse, Sienne, Arezzo, Pistoie, y sont souvent reproduits d’une manière très plaisante ; mais ce qui donne à ces petites compositions un caractère local et tout particulier, c’est le singulier personnage de Stentarello. Stentarello est le favori du public florentin ; il n’y a pas d’impromptus et de farces supportables sans Stentarello. Qu’on se figure de petits yeux perçans encadrés dans d’énormes sourcils noirs, un visage blafard sillonné aux coins de la bouche de trois rides profondes et parallèles qui lui donnent une expression diabolique et quelque peu machiavélique, ce qui va bien d’ailleurs à un bouffon florentin ; un front tout plissé couronné d’une perruque blondasse, terminée par une interminable queue, et l’on aura une peinture assez exacte de cet enfant gâté des Florentins. Son langage est varié, son caractère est mobile, mais son visage ne change pas.

Stentarello n’est, du reste, pas né d’hier. Je n’ai pas vu son extrait de baptême, et je ne pourrais dire depuis quand et à quel propos il a reçu ce nom si pittoresque[1] ; mais Stentarello était bien vivant il y a quelques centaines d’années. Aujourd’hui, Stentarello est devenu vieux ; il est presque retombé en enfance, et comme les vieilles gens que chacun abandonne, il fréquente la canaille. Au temps de la république, il vivait dans les palais ; il était alors dans toute la force de l’âge et dans toute la verdeur de son esprit ; il s’appelait Machiavel, Boccace, l’Arétin et Poggio. Stentarello est le petit-fils un peu vulgarisé de tous ces beaux esprits, et il a hérité surtout de leurs vices et de leurs petitesses. Je m’étonne qu’au lieu de prendre le nom de Stentarello, il n’ait pas gardé celui de Poggio. C’est le même esprit sous la même enveloppe, ou, pour mieux dire, c’est le même personnage un peu vieilli et encanaillé, comme nous l’avons dit, et de plus devenu avare, poltron, et fort réservé dans certaines matières qu’il abordait autrefois d’un ton plus décidé.

Poggio, Voltaire florentin, implacable railleur, bouffon plein de science, de politique et de génie, secrétaire à la fois de trois papes et du Buggiale[2], a toujours, comme ce pauvre Stentarello, qui fait chaque soir une si prodigieuse dépense de verve au théâtre de Borgo-ogni-Santi, un conte à faire, ou un trait de satire à lancer ;

  1. Stentare veut dire peiner, souffrir ; Stentarello est une espèce de souffre-douleur comique
  2. Appartement du Vatican où les gens d’esprit du temps se rassemblaient pour conter des contes ou en faire.