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leuses, vous les retrouvez encore dans les dialogues comiques et dans les farces les plus triviales du théâtre Stentarello. Là ce n’est plus l’esprit de quelque pauvre diable d’auteur, c’est l’esprit du peuple qui se traduit chaque soir, et l’esprit du peuple n’a pas varié autant qu’on le pense. Le Florentin est toujours un bonhomme un peu moqueur, qui se fâche et s’apaise facilement, qui crie très fort et qui se laisse battre, et qui surtout est prodigieusement avare ; il est toujours prêt à répondre, comme ce riche vieillard de Poggio au médecin qui lui recommandait de se nourrir de blancs de perdrix et de volaille, et de fréquenter la compagnie s’il ne voulait pas tomber dans la mélancolie et périr d’étisie : — Ce régime est absolument contraire à mon tempérament ; — n’osant pas dire, à mon caractère et à ma bourse.

La plupart de ces petits drames, où Stentarello paraît chaque soir comme victime ou comme héros, à la grande satisfaction du public florentin, échappent à l’analyse ; nous essaierons néanmoins de faire connaître ce singulier personnage et de raconter quelques-unes de ses prouesses. Stentarello a d’ordinaire la cinquantaine au moins ; son épaisse crinière blonde et sa longue queue contiennent bon nombre de mèches grises, et pourtant ses énormes sourcils sont toujours d’un beau noir de jais. Son teint est blafard et passe du blanc jaunâtre au blanc mat dans les momens critiques, lorsqu’il se trouve en présence du danger. Stentarello est du reste fort maigre, et c’est à sa maigreur qu’il doit son extrême agilité, car Stentarello est très leste, surtout lorsqu’il s’agit de se sauver ; il est galant au suprême degré, et tombe inévitablement amoureux de chaque jolie femme qu’il rencontre. Comme il est Italien, et de la vieille roche, il ne s’amuse pas à faire sa cour avec des phrases, mais il agit, ce qui lui attire bon nombre de soufflets et de coups de bâton. Après la luxure, le péché capital auquel Stentarello est le plus enclin, c’est la gourmandise ; l’odeur seule d’un bon morceau le met hors de lui et lui fait oublier l’amour et même le danger. La paresse vient après la gourmandise, et l’avarice après la paresse ; mais Stentarello est si pauvre, qu’il n’a pas de plaisir à être avare, comme il le dit quelque part. Amoureux, on le soufflette parce qu’il est trop vieux ; gourmand, il est réduit à flairer le dîner des autres ; poltron, il tremble au moindre bruit et fuit devant son ombre ; avare, il n’a ni coffre-fort ni même la plus petite cassette à remplir et à caresser. Stentarello serait donc un être fort malheureux, s’il n’avait ce qui console de tout les gens de son espèce : une fort mauvaise langue. Pourvu qu’il puisse,