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LE THÉÂTRE EN ITALIE.

mander, d’un air familièrement câlin, s’il n’a pas quelque bon petit morceau de parmesan dans sa gibecière. Le Piémontais se met à rire, car lui ne connaît pas plus la faim que la peur. Tandis qu’ils sont à jaser, un pauvre vient à eux. Ce pauvre n’est rien moins que le chef d’une bande de brigands qui a élu domicile dans un vieux château près duquel Stentarello vient de rencontrer le capitaine piémontais. Le coquin, qui voit deux militaires armés jusqu’aux dents, avec lesquels il n’y a rien à gagner, et qui aime mieux les effrayer que de payer de sa personne, leur raconte que le château est habité par des esprits qui rôdent dans les environs à la tombée de la nuit. Le soleil vient de se coucher, et, en entendant ce récit, Stentarello commence à trembler de tous ses membres ; le Piémontais, au contraire, se redresse de toute sa hauteur, et tout en frisant sa moustache : — Ah ! ah ! des esprits, dit-il en ricanant ; allons un peu voir quelle tournure ils ont, ces esprits, mon brave Stentarello, car je suis certain que tu es aussi curieux que moi de voir ces habitans d’un autre monde. — Le Napolitain fait des façons ; il est trop pressé pour s’arrêter et s’amuser à ces bagatelles, et puis sa femme l’attendrait, serait inquiète. Le Piémontais insiste. — Je n’aime à me mesurer qu’avec des êtres bien vivans, armés jusqu’aux dents ; je craindrais de me gâter la main en essayant de pourfendre des ombres, lui répond son compagnon… Chasser des esprits, bast ! c’est l’affaire de mon curé… La seule manière de combattre ces drôles-là, c’est de les asperger d’eau bénite. — Tout en continuant sur ce ton moitié badin, moitié fanfaron, Stentarello veut se remettre en chemin. Le Piémontais l’arrête : — Crois bien que je ne t’aurais pas proposé de rendre une petite visite à ces esprits, si je n’eusse supposé qu’ils étaient de chair et d’os comme toi et moi, mon brave Stentarello, lui dit-il ; puis, se rapprochant et lui parlant à demi-voix : — Regarde ce pauvre ! ajoute-t-il ; eh bien ! je le soupçonne fort d’être quelque coquin déguisé. — Stentarello a une défaillance. Le voleur, voyant qu’il ne peut les effrayer, et que le Piémontais semble l’examiner en parlant à son compagnon, s’échappe en abandonnant le panier qu’il portait, et qui contient du pain, du fromage et du vin.

Stentarello, à la vue de ces provisions, oublie tout-à-fait le danger, et, la gourmandise l’emportant, il profite d’un moment où le capitaine s’est éloigné pour examiner les alentours du château, pour avaler le pain et le fromage ; il se dispose même à boire le vin quand une femme, dont les vêtemens sont dans le plus grand désordre, accourt, le saisit par le bras et l’arrête. Stentarello, épouvanté de ce contact,