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REVUE DES DEUX MONDES.

LE CHEVALIER.

Parlez ! Je suis privé de force et dépourvu de raison à l’heure qu’il est.

LE DUC.

À ta place, voici ce que je ferais : je ne partirais pas, du moins je ne partirais que l’année prochaine.

LE CHEVALIER.

Et à quoi bon prolonger d’une année ce supplice, trop long déjà d’une heure ?

LE DUC.

Qu’il est simple ! Mais où donc as-tu été élevé, mon pauvre garçon ? Comment, tu ne me comprends pas ? Voilà le mariage conclu à ne plus s’en dédire ; ta présence ne peut plus l’embrouiller… Maintenant, tu aimes, tu es aimé… Tu me regardes avec de grands yeux ! Que diable ! je ne peux pas parler plus clairement, ce me semble ?

LE CHEVALIER.

Que me dites-vous ? Troubler son repos ? ternir sa réputation ?…

LE DUC.

C’est ce que tu fais depuis huit jours avec tes emportemens. Calme-toi, sois modeste dans ton bonheur, tout ira bien, car c’est ainsi que va le monde.

LE CHEVALIER.

Puis-je vivre ainsi, sans fortune et sans état ?

LE DUC.

À quoi bon faire fortune, si tu n’épouses pas ? Pourvu que tu aies une position dans le monde, d’ici à un an je te ferai avoir une compagnie de quelque chose.

LE CHEVALIER.

Croyez-vous donc que dans un an je pourrai quitter Julie plus aisément qu’aujourd’hui ?

LE DUC.

Oh ! bien certainement je le crois. Il est même possible que dans ce temps-là vous soyez aussi charmés de vous quitter que vous en êtes désolés aujourd’hui.

LE CHEVALIER.

Mais Julie oubliera-t-elle ainsi ses devoirs, car enfin son mari… sa mère…

LE DUC.

Sa mère est la meilleure femme du monde. Je la connais, moi. Je la connais même beaucoup, entre nous soit dit, et je te réponds qu’au lendemain du mariage ses idées sur la morale ne seront plus celles de la veille.

LE CHEVALIER.

Oh ! comme vous parlez de ma tante ! Moi, qui l’ai vénérée jusqu’ici comme une mère !… Je crois rêver.

LE DUC.

Relis donc le billet ; tu verras que la marquise ne veut pas que sa fille meure de chagrin. Quant au mari, dans cette classe-là ils sont tous aveugles de nais-