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mais c’est un point qui a grand besoin d’être éclairci. Quoi qu’il en soit, la langue des Afghans paraît n’être rien moins qu’harmonieuse. La tradition s’est même égayée à ce sujet. Selon elle, un certain roi ayant envoyé son visir pour étudier les différentes langues de la terre et lui en rapporter des vocabulaires, le visir, à son retour, essaya de donner à son maître une idée de chaque langue par des citations. Quand il en vint à l’afghani, il s’arrêta, et, prenant un vase en étain dans lequel il avait mis un gros caillou, il commença à secouer le vase. Le roi surpris lui demanda ce que signifiait ce charivari ; le visir déclara que, n’ayant pu réussir à apprendre la langue des Afghans, il n’avait vu que ce moyen d’en donner une idée à sa majesté. Cependant cette langue, selon Elphinstone, ne manque ni d’expression ni surtout d’énergie, et elle se prête aux sentimens les plus passionnés ; elle a sa poésie, et les poètes poushtous sont assez nombreux, surtout depuis deux siècles.

Ahmed-Shâh a composé un recueil d’odes en poushtou, son fils Timour en a publié un en persan. Le shâh actuel, Shâh-Shoudja, est lui-même très versé dans la littérature arabe, persane et poushtou. Dans un pays où la poésie est en honneur, l’amour se révèle tôt ou tard à l’homme en dépit des institutions qui assignent à la femme le rôle d’esclave et la condamnent à ne pas franchir les limites de la vie intérieure. L’amour est un sentiment qu’éprouvent fréquemment ces populations nomades ou guerrières de l’Afghanistan, et qui chez elles paraît même présenter des caractères tout-à-fait analogues à ceux qui distinguent le véritable amour d’après nos idées européennes. La condition des femmes, malgré les restrictions qu’imposent les habitudes musulmanes, est au total heureuse dans ces contrées, et l’influence du beau sexe se manifeste souvent dans les évènemens qui changent la destinée des familles, et même celle de l’état. L’appel d’une femme à la protection d’un Afghan n’est jamais fait en vain, et la forme même de cet appel a quelque chose de simple, de noble et de touchant, comme la confiance dont elle est le signe. Ainsi, à la mort de Timour-Shâh, la reine favorite, mère de Shâh-Zeman, envoya son voile à Sarfraz-Khan, chef de la tribu des Barekzaïs, et se plaçant ainsi avec son fils sous la protection de ce puissant serdar, le mit dans l’obligation d’appuyer les prétentions de Shâh-Zeman au trône.

Tel est le tableau général et fort incomplet de l’Afghanistan sous le point de vue physique et ethnographique. Elphinstone évaluait sa population totale à plus de quatorze millions. Ce qui reste de l’ancien empire douranie, sous la domination de Shâh-Shoudja, compte