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poétique courante, qui était alors celle de Lamartine ; mais il ne la refrappe pas pour son compte, il ne la réinvente pas.

Aux diverses époques, les hommes du Nord ont eu cette facilité merveilleuse à se produire dans notre langue, mais toujours jusqu’à l’originalité exclusivement. Lorsqu’il y a un ou deux ans, le prince Metcherski publia ses ingénieuses poésies, tout empreintes du cachet romantique le plus récent, je ne sais quel critique en tira grand parti contre la façon moderne, et affirma qu’on n’aurait pas si aisément contrefait la muse classique ; c’est une sottise. Du temps de Voltaire et de La Harpe, le comte de Schouwaloff était passé maître sur la double colline d’alors, et avait ses brevets signés et datés de Ferney et autres lieux. Ses descendans aujourd’hui ne réussissent pas moins spirituellement dans les genres de M. Hugo ou de M. de Musset.

La langue poétique intermédiaire dans laquelle Jean Polonius se produisit, a cela d’avantageux qu’elle est noble, saine, pure, dégagée des pompons de la vieille mythologie, et encore exempte de l’attirail d’images qui a succédé : ses inconvéniens, quand le génie de l’inventeur ne la relève pas fréquemment, sont une certaine monotonie et langueur, une lumière peu variée, quelque chose d’assez pareil à ces blancs soleils du Nord, sitôt que l’été rapide a disparu. On aurait tort pourtant de conclure que M. Labinsky, depuis ses premiers essais, n’a pas persévéré par de sérieux efforts, et n’a pas cherché à soutenir, à élargir ses horizons et ses couleurs. Sa vision d’Empédocle (1829) était un premier pas vers le poème philosophique que son Érostrate vient nous développer aujourd’hui. Notons la marche : elle est celle de beaucoup. Les poètes qui ont commencé par le lyrisme intime, par l’expression de leurs plaintes et de leurs douleurs, ces poètes, s’ils ont chanté vraiment par sensibilité et selon leur émotion sincère, s’arrêtent dans cette voie à un certain moment, et, au lieu de ressasser sans fin des sentimens sans plus de fraîcheur, et de multiplier autour d’eux, comme par gageure, des échos grossis, ces poètes se taisent ou cherchent à produire désormais leur talent dans des sujets extérieurs, dans des compositions impersonnelles. M. de Lamartine, le plus lyrique de tous, a lui-même suivi cette direction ; elle est surtout très sensible chez M. Labinsky, lequel, à distance et dans sa liberté, me fait l’effet d’un correspondant correct de Lamartine. À un certain moment, la jeunesse s’éteignant déjà et les premiers bonheurs expirés, il s’est dit : Est-ce donc tout ? Une pièce de lui, le Luth abandonné, exprime avec mélodie cette disposition touchante :