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SALON DE 1840.

struction et d’une physionomie originale, il ne prend pas la peine d’en saisir la vraie signification, et il en supprime tous les traits caractéristiques avant de la transporter sur la toile. Ce que je dis est facile à vérifier sur le cadre que M. Champmartin a envoyé cette année ; car la plupart des modèles qui figurent dans ce cadre sont connus d’une grande partie du public. Sur dix têtes, il en est cinq dont je peux discuter la ressemblance : MM. Henriquel Dupont, Émile Deschamps, Ricourt, Jules Janin, Eugène Delacroix. Or, entre ces cinq têtes, deux seulement, celles de MM. Ricourt et Janin, sont assez fidèlement reproduites. Assurément la ressemblance, prise dans le sens littéral du mot, sera toujours une question très secondaire ; il n’y a guère que la famille et les amis du modèle qui puissent s’en inquiéter sérieusement. Mais la ressemblance prise dans le sens le plus élevé intéresse directement la peinture, car il faut à chaque tête un caractère individuel ; il faut que chaque tête ait une physionomie spéciale. Eh bien ! MM. Henriquel Dupont, Émile Deschamps et Eugène Delacroix ont une physionomie que M. Champmartin n’a pas saisie. Dans le masque de M. Eugène Delacroix, la charpente osseuse est beaucoup plus vivement accusée ; le visage de M. Henriquel Dupont n’a ni l’embonpoint ni l’indolence que l’auteur lui a donnés ; M. Émile Deschamps offre un mélange de politesse et d’ironie que nous ne retrouvons pas dans son portrait. MM. Janin et Ricourt sont assez fidèlement copiés ; cela tient évidemment à ce que MM. Ricourt et Janin ont une physionomie plus facile à saisir que celles de MM. Dupont, Deschamps et Delacroix. Si M. Champmartin se fût attaché à étudier avec persévérance chacun des modèles qui posaient devant lui, ses portraits ne seraient pas seulement d’une plus grande ressemblance, ils seraient meilleurs sous le rapport même de la peinture, car ils auraient l’individualité qui leur manque, et la variété des lignes eût amené la variété des tons. Tel qu’il est, le cadre envoyé par M. Champmartin révèle une incontestable habileté, mais n’offre qu’une réunion d’œuvres incomplètes.

M. Amaury-Duval, aveuglé par les louanges de ses amis, s’éloigne de plus en plus de la vérité. Les portraits de M. Alexandre Duval, de M. Barre et de Mme Menessier-Nodier, méritent tous à peu près le même reproche. Chacun de ces portraits est conçu dans le même système, et entaché des mêmes défauts. Je ne parle pas de la couleur grise et terne de ces trois ouvrages, car M. Amaury-Duval, élève de M. Ingres, considère l’éclat de la couleur comme contraire à l’élévation, à la pureté du style ; mais les ombres portées sont ridiculement