Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/112

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
108
REVUE DES DEUX MONDES.

Fleury s’est contenté lentement et difficilement. La couleur de cette toile n’a rien de séduisant, mais les tons sont heureusement assortis et composent un ensemble d’une harmonie très suffisante. M. Robert Fleury n’avait pas encore traité de sujet aussi important que le Colloque de Poissy ; le succès de ce tableau doit l’engager à persévérer dans la voie où il vient d’entrer.

Le Saint Jean de M. Gleyre obtient un succès légitime ; la tête, les mains et la draperie sont étudiées avec soin et rendues avec une grande habileté. La couleur est vigoureuse, le dessin pur, le mouvement naturel. La tête, éclairée en plein, exprime très bien l’extase dans laquelle est plongé saint Jean ; envisagé sous le rapport de la réalité, le masque entier ne mérite que des éloges, mais on peut lui reprocher de n’être pas assez idéalisé. L’expression du visage est ce qu’elle doit être ; les lignes n’ont pas la grandeur et la simplicité qu’elles devraient avoir. Telle qu’elle est cependant, cette figure mérite d’être signalée à l’attention publique, car elle révèle chez l’auteur un remarquable talent d’exécution, une largeur de pinceau qui demanderait à être appliquée sur une grande échelle. Malgré l’absence d’idéal que nous reprochons à la tête de saint Jean, il est évident que M. Gleyre traiterait avec bonheur les sujets religieux ; il y a dans l’attitude et dans les draperies du Saint Jean l’élévation de style qui convient aux compositions bibliques.

Entre les trois paysages de M. Corot, il en est un dont la composition ne laisse rien à désirer, celui qu’il a nommé soleil couchant ; les terrains, les arbres, le ciel et le pâtre forment un ensemble harmonieux qui charme les juges les plus sévères. C’est un paysage sur lequel on aimerait à reposer souvent ses yeux. Jamais M. Corot n’a réussi à exprimer si bien sa pensée ; malheureusement, l’exécution des diverses parties de ce tableau est loin de répondre à la composition. Les arbres, dont les masses sont bonnes, ne peuvent être vus de près, tant il y a de gaucherie et de mollesse dans le tronc, les branches et le feuillage ; la figure du pâtre admirablement placée est d’un dessin très insuffisant. Toutefois, ce paysage est d’un aspect délicieux, et cause le même plaisir que la lecture d’une belle idylle antique. Cette année encore, les toiles de M. Marilhat sont fort au-dessous des premiers ouvrages de l’auteur. Pour éviter la crudité de tons qu’on lui reprochait à l’époque de ses débuts, il s’est jeté dans je ne sais quelle peinture qui n’appartient précisément à aucune école, qui ne vise ni à la ligne, ni à la couleur ; il semble fuir l’originalité comme un piége ; il fouille dans ses cartons et il transcrit ses