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DU THÉÂTRE EN ANGLETERRE.

les rochers, ou se développant comme un large miroir qui étincelle. Par un renversement singulier de l’art dramatique, vous n’apercevez plus dans cette œuvre aucune action visible. Le phénomène extérieur des passions et des caractères humains s’évanouit. Il fait place au phénomène intérieur d’une pensée qui s’étudie et d’une ame qui se creuse.

Nous signalons ce résultat bizarre comme le dernier terme de l’abus métaphysique si naturel à la muse du Nord. Le drame d’escamotage habile que les Français ont adopté récemment, le drame d’incidens et de passion que les Espagnols ont porté si haut vers le commencement du XVIIe siècle, occupent l’extrémité opposée du diamètre. Shakspeare penche, mais sans excès, vers l’observation métaphysique du Nord ; Calderon, sacrifiant au contraire la pensée à l’action et à la couleur, gravite aussi d’un autre côté vers le point central et vers la perfection de l’art. Quant à l’auteur nouveau dont nous parlons, philosophe et poète remarquable, il faut le nier comme dramaturge.

Prenons-le donc pour ce qu’il est, non pour ce qu’il croit être. Comme œuvre d’analyse philosophique, son prétendu drame est rempli de talent. La poésie des images y est jetée à pleines mains sur la subtilité des pensées. Manfred et Faust ne renferment pas de plus beaux passages que certains fragmens de ce Paracelse, obscurci par tant de divagations inutiles et construit sur un plan insoutenable. Nous donnerons pour exemple la rencontre et le dialogue de Paracelse et d’Aprile, symboles, l’un de la science, l’autre de l’amour, du besoin de connaître qui veut pénétrer tous les secrets du monde visible et invisible, de l’amour s’assimilant à tous les genres de beauté, et produisant la poésie, la musique et les arts.


— Qui es-tu (demande Aprile à Paracelse), homme profond et inconnu ?

Paracelse. — Je suis le mortel qui aspire à connaître. — Et toi ?

Aprile. — Je voudrais aimer infiniment et être aimé.

Paracelse. — Esclave ! je suis ton roi.

Aprile. — Ah ! Dieu t’a bien partagé. L’idéal que je poursuis me fuit sans cesse. Mon désir est immense, et le feu qui me brûle me consume sans me satisfaire. Toi, génie attentif et patient, tu acquiers toujours, tu amasses sans cesse. Ah ! malheureux ! malheureux que je suis !

Paracelse. — Calme-toi, je te l’ordonne au nom de la puissance que j’ai sur toi. Je veux te connaître, je veux savoir ce que tu désires.

Aprile. — Ne te l’ai-je pas dit ? Je n’ai qu’un but, qu’un désir : aimer ! Toutes les belles formes du monde, je voudrais les reproduire dans le marbre, dans la pierre et dans le bronze. Ah ! si je pouvais ! si je pouvais ! rien n’échapperait à ma sympathie ; la nymphe, ame secrète des chênes séculaires, le ma-