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DU THÉÂTRE EN ANGLETERRE.

et ébranlés, s’éveillèrent ; Virginius produisit de l’effet en Angleterre, et plus encore en France. Sheridan Knowles, encouragé, créa d’autres œuvres d’après la même inspiration ; privé de ces personnages romains qui l’avaient si bien servi par le contraste, il n’obtint malheureusement plus les mêmes résultats. On s’aperçut que l’étude de la vie, l’analyse des caractères, la variété des observations, la vraisemblance des plans manquaient à son génie. L’éloquence élégiaque et le pathétique bourgeois lui restaient sans doute ; mais on commençait à se lasser de cette poésie maladive, affaiblissement pour l’esprit et danger pour l’ame. Ce sont encore là les caractères, le mérite et le défaut de ses derniers ouvrages, — l’Amour, — la Fille — et l’Épouse.

La Fille (the Daughter) relève essentiellement de l’école d’Otway, embellie de quelques fleurs empruntées aux ossuaires de Maturin. C’est l’horreur dans le vulgaire et le sentimental dans l’atroce. L’Épouse (the Wife[1]) a le mérite de l’harmonie dans la conception. Si le plan est romanesque, les détails le sont aussi ; on peut le trouver faux dans son ensemble, mais la couleur est d’accord avec le dessin. Si la Fille révolte par une sorte de férocité gracieuse le sentiment intime et les premières lois de l’art, l’autre drame a du moins le mérite d’un conte intéressant.

Tout est improbable dans ce drame ; l’auteur commence par une avalanche suisse, et continue par une révolution qui s’opère le plus doucement du monde ; il expose ensuite à des attaques calomnieuses et impossibles la vertu et la vie d’une princesse, qu’il tire du danger au moyen d’une catastrophe non moins chimérique. Suivez-le, lancez-vous en pleine féerie : son conte marche bien ; ses situations ont de l’intérêt ; son style est poétique ; et d’invraisemblance en invraisemblance, vous traversez avec un plaisir d’enfant tous les évènemens incroyables qu’il entasse. Faites surtout taire votre raison : les plaintes de Mariana, les perfidies du traître Ferrardo, la confiance aveugle du mari ne pourront manquer de vous toucher, comme un curieux récit du Lasca ou de Boccace. Je préfère the Wife aux autres pièces de Sheridan Knowles, à cause de cette harmonie d’invraisemblance dont l’ensemble est net, et à laquelle tous les détails concourent merveilleusement. Si l’enchaînement et l’invention des faits ne supportent pas la critique, le style fleuri, moelleux, ca-

  1. Ce mot wife (femme mariée) comporte un sens beaucoup plus simple que le mot épouse (spouse), et plus saint, plus digne, plus noble, plus sacré que celui de femme, terme générique en français. C’est une de ces nuances de mots et de mœurs qui tiennent à des différences profondes et qui passent inobservées.