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dencé, sentimental du dialogue manque également de réalité. Une fois la chose convenue, on perd toute idée de drame véritable, de vie passionnée, active et réelle. C’est un tableau de Boucher, auquel vous ne reprochez pas ses arbres d’azur : ils s’accordent si bien avec les chaumières violettes. Le peintre possède des qualités spéciales dont vous lui tenez compte, et vous avez raison.

Il s’agit d’une époque indéterminée où de certains princes inconnus régnaient à Mantoue, et s’en allaient chercher sur le bord des lacs suisses des épouses et des amantes. L’un d’eux, se promenant rêveur dans je ne sais quelle vallée, est écrasé par une avalanche. On n’en revient pas communément ; mais notre prince, recueilli et soigné par Mariana, doit la vie à cette jeune fille. Éprise d’amour pour celui qu’elle a sauvé, elle lui cache sa passion et se contente de suivre, silencieuse, l’homme qui lui a inspiré un sentiment indomptable et profond. Le duc, de retour, trouve sa place envahie par un frère, reprend sans coup férir sa petite couronne, reconnaît Mariana et l’épouse au moment même où le frère perfide a conçu pour elle une passion qui va bientôt se changer en fureur. Devenue duchesse, Mariana est exposée à toutes les embûches, à toutes les intrigues de Ferrardo : ainsi se nomme le mauvais frère. Pendant une absence du prince, Ferrardo déchaîne contre Mariana un de ses courtisans, misérable et vicieux, qui se charge, non de la séduire, mais de la compromettre. Heureusement ce dernier, humilié par l’homme dont il est l’instrument et contre lequel il nourrit un grand désir de vengeance, saisit l’occasion de le satisfaire, dénonce Ferrardo et sauve la duchesse. Toute cette absurde invention se déroule avec une sorte de mélancolie agréable qui ne manque pas de charme ; c’est une fiction brodée sur la soie et assez heureusement nuancée. Les traîtres parlent comme des romans ; le duc est une ode, et la paysanne suisse une élégie. Quand Sheridan Knowles peut faire valoir la nature spéciale de son talent, qui tient de l’idylle et du conte sentimental, il n’y manque pas, et le lecteur y gagne de jolis vers, à défaut de drame. Ainsi, Mariana, interrogée sur le progrès de son amour, répond par une tirade charmante :


« Comment votre passion s’est-elle développée ?

Mariana. — Comme moi-même, comme je grandissais, sans que je m’en aperçusse. Je le veillais malade, et je croyais qu’il allait mourir. Long-temps la mort et la vie se combattirent en lui ; on fut incertain long-temps. Il priait le ciel pour son salut, je priais avec lui. Ainsi nos deux ames se mêlèrent.

Lorenzo. — Et vous l’aimâtes ?

Mariana. — Oh ! oui, je l’aimai ! La fleur dont le vent a effeuillé la co-