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REVUE LITTÉRAIRE DE L’ALLEMAGNE.

Dès le Xe siècle, et l’on pourrait dire dès le IXe même, la langue slave avait déjà pris une sorte de consistance que d’autres n’ont acquise que bien plus tard. Quelques essais littéraires, vagues et incorrects, indiquaient cependant une certaine sève d’esprit qui semblait présager un heureux développement ; mais ce mouvement fut paralysé par les évènemens politiques : en Russie, par l’invasion et l’oppression des Mongols ; en Bohême, par les luttes sanglantes de la réformation ; en Servie, par les guerres avec les empereurs grecs et la domination des Turcs ; en Pologne, par les divisions intestines et les combats perpétuels au dehors. L’imprimerie ne fut introduite en Russie qu’en 1564, et, à cette époque, elle ne servait encore qu’à imprimer des livres en langue grecque ou latine. Ce fut Pierre-le-Grand qui prescrivit l’usage de la langue russe dans les actes officiels de l’administration et les arrêts des tribunaux ; ce fut lui qui fit imprimer les premiers livres russes ; ce fut lui enfin qui releva de sa main puissante une littérature dont une domination étrangère, une domination hautaine et barbare, paraissait avoir étouffé le premier germe. Élisabeth et Catherine continuèrent son œuvre avec une noble fermeté. Elles ouvrirent de nouvelles écoles, elles fondèrent des établissemens scientifiques, des bibliothèques et des académies. Des écrivains distingués apparurent sous leur règne ; la science se mit à l’œuvre, et la poésie prit son essor. Cependant, lorsqu’on en vient à compter les productions russes du siècle dernier, et même celles du siècle actuel, leur petit nombre n’annonce pas un grand mouvement littéraire. Qui croirait qu’en 1732 il n’y avait pas plus de quatre mille ouvrages imprimés en langue russe, ou en vieille langue slave ? Qui croirait que, dans ce vaste empire, le nombre des publications en langue nationale ne s’élève pas, terme moyen, à plus de trois ou quatre cents par an ? En 1822, on comptait, en Russie, trois cent cinquante écrivains vivans, autant qu’il y en a dans un des quartiers de Paris, et l’auteur du livre auquel nous empruntons ces faits curieux les cite comme un exemple du développement que la littérature russe a pris dans les dernières années, et cette conclusion est vraie si, comme il le dit, de 1700 à 1800, on n’avait pas vu paraître plus de mille ouvrages. La littérature polonaise, quoique plus précoce, n’a pas été beaucoup plus animée et plus féconde. Mais les dernières productions de ces deux littératures peuvent faire oublier bien des lacunes. Les noms de Karamsin, Bulgarin, Puschkin d’une part, de Niemciwitz et Mickiewiz de l’autre, indiquent une nouvelle ère dont on aime à rechercher les antécédens, dont on désire voir la suite. D’ailleurs je ne parle ici que de la littérature exacte, admise dans les traités de rhétorique et encouragée par les académies. À côté de celle-là, il en est une plus large, plus vivace, plus originale, qui n’a rien emprunté aux autres et rien imité, qui a vécu de sa propre vie, et s’est perpétuée silencieusement dans la mémoire du peuple, tandis que l’autre ne se développait qu’avec peine dans les leçons de l’école. C’est cette littérature des traditions nationales qui nous a été révélée dans quelques poésies admirables des Serviens, dans quelques chants populaires de la Russie, de la Bohême, de la Pologne. Enfin, à cet intérêt purement littéraire, ne pourrions-nous pas en ajouter un autre plus