Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/177

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
173
REVUE LITTÉRAIRE DE L’ALLEMAGNE.

empruntées une profonde admiration d’éditeur. Heine est pour lui le génie annonciateur d’une nouvelle ère. Lenau a dans les déchiremens de sa douleur les merveilleuses mélodies du rossignol. Quant à M. Julien Mosen, c’est encore mieux : c’est une source d’eau minérale qui s’élance du sommet des montagnes élevées et couvertes de forêts, tantôt se brisant contre les rochers, tantôt jouant avec les petites clochettes bleues qui bordent ses rives. « Ses chansons, dit M. Stolle, sont des pierres d’aimant qu’il faut porter non-seulement sur la poitrine, mais dans la poitrine, pour pouvoir connaître leur force magique. » Je ne comprends pas bien, je l’avoue, ce symbolisme des pierres d’aimant qu’il faut porter dans la poitrine et sur la poitrine ; mais nous supposons que c’est très beau (avec la jeune Allemagne, il faut souvent faire de telles suppositions), et nous arrivons à l’œuvre de M. Mosen, qui se trouve placée au milieu de l’anthologie comme une vraie source minérale destinée à vivifier tout le reste. Je prends la première pièce, et je traduis littéralement, afin que les Allemands, si jaloux de l’expression de leurs verbes, de la beauté de leurs adjectifs et de l’ampleur de leurs phrases, puissent voir un peu par eux-mêmes l’effet que produit une de leurs pièces de vers rendue mot à mot dans notre langue.

« Le chevreuil regarde du côté des petits qui ont dormi toute la nuit. Moi j’ai veillé tout mon sommeil auprès des miens.

« La vigne a levé ses oreilles vers la fenêtre. Elle n’a pas perdu un mot. Elle commençait à fleurir.

« La lune enfin voulait s’éloigner. Je ne l’ai pas vue. Les fleurs et nous deux nous avons les yeux pleins d’eau. »

J’oubliais de dire que cette pièce est intitulée : une Nuit de Printemps.

Peut-être le titre ajoute-t-il encore à sa nature de pierre d’aimant.

Du reste, l’anthologie de M. Stolle n’est pas la seule qui puisse nous faire faire de tristes réflexions sur l’état actuel de la littérature allemande. Les Allemands ont une quantité de livres semblables ; et pour un recueil sérieux, savant, comme le Deutsches Lesebuch de M. Wackernagel, on en compterait des centaines d’autres sans critique et sans goût. C’est l’œuvre de ceux qui, ne pouvant rien produire par eux-mêmes, taillent avec des ciseaux dans les productions des autres, afin de ne pas mourir sans avoir aussi construit la charpente d’un volume, sans avoir vu leur nom inscrit dans les annales de la foire de Leipzig. Dernièrement un de ces collecteurs de compositions littéraires, un M. Kurz, magister de je ne sais quelle université, a publié dans un ambitieux format une anthologie poétique dédiée à MM. Saint-Marc Girardin et Dubois, protecteurs de la littérature allemande. M. Saint-Marc Girardin, je le comprends ; mais M. Dubois ! c’est par anticipation sans doute que M. Kurz lui donne ce titre. On ne pouvait s’y mieux prendre pour inviter l’honorable député de la Loire-Inférieure à rompre le silence qu’il s’obstine à garder depuis son voyage au-delà du Rhin. L’ingénieuse provocation de M. Kurz sera-t-elle comprise ? Nous l’espérons, et nous acceptons sa dédicace comme un bon augure.


X. Marmier.