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REVUE. — CHRONIQUE.

de ses amis que ceux qui lui donnent des preuves non équivoques de sympathie. On est toujours tenté d’abandonner le premier et de lui faire sentir la vanité de ses prétentions ; on est toujours enclin à se rapprocher de plus en plus du second et à lui rendre enfin toute la justice qu’il mérite. Il n’est d’amitiés solides que celles qu’on n’a pas légèrement supposées, légèrement acceptées.

Mais si, dans les deux cent quarante-six suffrages, il en est que le ministère ne peut pas encore tenir pour siens, toujours est-il que ces suffrages sont tombés dans l’urne ministérielle, qu’ils y sont tombés sous l’empire de circonstances contre lesquelles on a tenté inutilement de se débattre.

C’est là la gloire du cabinet. Ces circonstances, les hommes habiles savent seuls en profiter. Le ministère n’a pas manqué à sa fortune, ses adversaires les plus passionnés sont forcés de le reconnaître ; par son attitude, par son habileté, il a satisfait ses amis, il a surtout déconcerté ses ennemis. MM. Thiers, de Rémusat, Jaubert, ont laissé dans cette mémorable discussion de longs souvenirs au pays. M. Thiers a montré que son séjour au sein de l’opposition n’avait rien ôté de sa haute valeur et de son talent gouvernemental à l’homme d’état. M. de Rémusat et Jaubert, oui M. Jaubert lui-même, cet orateur jadis si épigrammatique, si capricieux, si malin, si redoutable à ses adversaires et même quelque peu à ses amis, ont prouvé que la France avait en eux deux ministres de plus, deux ministres sérieux et pleins d’avenir.

Que pourrions-nous ajouter à tout ce qu’on a dit de l’éloquence du président du conseil, de la noble et chaleureuse parole de M. de Rémusat, du discours à la fois si naturel et si habile de M. Jaubert ? Ce n’est pas le talent oratoire des ministres que nous voulons faire remarquer ; on savait qu’au pis-aller M. Thiers suffirait seul au combat, et cependant, en prudent capitaine il s’est fortifié de puissans auxiliaires, et il avait encore des forces considérables en réserve.

C’est au point de vue gouvernemental qu’il importe de considérer ces discours. Ils ont été un évènement, un acte politique.

Cette parole à la fois si vive et si contenue, ces formules si nettes, ces réponses si positives, cette insistance si digne sur le terrain qu’on avait choisi et qu’on montrait avec autorité à tous les partis, n’étaient pas seulement des moyens de rhétorique ; c’étaient des actes réfléchis d’un gouvernement qui veut se fonder, la proclamation solennelle d’un système. C’était dire : Ici, sur ce terrain, nous trouveront et seront également accueillis tous ceux, d’où qu’ils viennent, qui portent en eux un principe sincère d’assimilation avec nous ; pour les autres, nous n’irons les chercher ni à droite ni à gauche ; libre à eux de vouloir plus, de vouloir moins que l’établissement de juillet ne comporte avec sa devise immuable : ordre et liberté ; libre aux uns de rêver des expériences politiques que la France et son gouvernement repoussent, libre aux autres de se repaître de craintes exagérées, d’alarmes imaginaires, de se persuader qu’un malade n’entre jamais en convalescence, et qu’il faut tous