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REVUE. — CHRONIQUE.

débat ; toutes les délicatesses du langage lui sont familières, et il est si habile à exprimer les plus fines nuances de la pensée, qu’il sait, dans les conjonctures les plus difficiles, respecter toutes les convenances, sans rien ôter à ses raisonnemens de leur netteté et de leur vigueur. Membre de la chambre des députés, M. Villemain serait-il descendu dans l’arène ? Nous ne le pensons pas.

Un amendement a été présenté. Non-seulement M. de Lamartine, mais ni M. Lefebvre, ni M. Quénault, ni M. Jacqueminot, ni M. Galos, ni M. de Wustemberg, ni aucun des hommes qui se croient quelque avenir n’ont voulu y attacher leur nom. Il a fallu que M. d’Angeville fît acte de courage, et prît l’amendement à son compte. C’était un beau dévouement ; nous y applaudissons sincèrement, parce que, en toutes choses, le courage nous plaît, et que le courage civil, le courage de son opinion, n’est pas chose commune aujourd’hui. Mais toujours est-il que l’amendement, comme acte de parti, n’était pas chose sérieuse. Toutes les réunions, toutes les conférences n’avaient abouti qu’à lancer dans la chambre un ballon d’essai.

Bref, les anciens conservateurs, s’ils n’ont pas perdu tout souvenir, ont dû se dire, avec un retour quelque peu amer sur eux-mêmes : Où sont les jours de notre gloire ? Où sont nos chefs, ces hommes si habiles, si puissans, qui nous ont valu tant de victoires, donné tant de relief ? On ne leur demandait pas, à eux, pourquoi ils parlaient en notre nom ; car eux, c’étaient nous : ils étaient la majorité personnifiée, le gouvernement incarné.

Tout cela n’est plus. Nous savons tout ce que les petites passions, tout ce que les misères humaines ont à se reprocher à ce sujet. Ce n’est pas de la morale, c’est de la politique que nous faisons ici. Les hommes auraient été meilleurs qu’ils ne sont, d’une nature plus élevée, que les mêmes crises auraient éclaté ; seulement le danger aurait été moins grand, le trouble moins profond, le remède plus facile et plus prompt.

L’ancienne majorité ne pouvait pas rester ce qu’elle était, pas plus que la gauche ne peut aujourd’hui être la gauche de 1834. Dans la gauche aussi, on se dit et à l’oreille et tout haut que les divisions de ce parti sont l’effet de l’intrigue, de l’ambition, de la jalousie ; que l’un penche vers la république, parce qu’il est envieux de celui qui penche vers le centre gauche ; qu’un autre devient modéré, parce que l’avénement des immodérés est indéfiniment ajourné. Certes, nous n’entendons pas canoniser messieurs de la gauche. La révolte des médiocrités, cette maladie de notre siècle, aurait-elle épargné les bancs de la chambre ?

Mais les hommes sont au fond moins coupables qu’on ne le pense, moins surtout qu’ils ne se le disent dans leurs récriminations et leurs plaintes.

On ne tient pas assez compte, à l’issue d’une révolution, de la transformation inévitable des partis, des modifications que subissent les opinions par une loi de notre esprit.

Dans le fort de toute révolution, les esprits, chacun selon ses tendances et ses prédispositions, se préoccupent nécessairement et très vivement d’une seule